Comix Club n°11

Voici donc le dernier numéro de Comix Club. Mais vraiment le dernier (du moins sous cette forme nous annonce Jean-Paul Janne­quin)! Évidem­ment, voir une revue qui parle de BD s’arrê­ter ne me fait pas parti­cu­liè­re­ment plaisir mais du coup, je me suis posé la question de son conte­nu. Les deux gros morceaux de ce numéro sont une inter­view d’Alec Longstreth, Dash Shaw et Kazimir Strze­pek, trois jeunes auteurs US indépen­dants qui sont peut-être intéres­sants (j’ai croisé leurs albums sans curio­si­té parti­cu­lière) mais qui n’ont pas encore réali­sé des choses incon­tour­nables, et une longue analyse de La maison close, l’expé­rience narra­tive de Rupert et Mulot par Julie Delporte. Je n’ai jamais parlé de Rupert et Mulot ici pour la simple et bonne réponse que la lecture de leurs histoires ne me fait pas un effet extra­or­di­naire. Je ne nie pas l’inté­rêt mais mon plaisir de lecteur est très limité. De plus, les cases extraites de cette aventure graphique (des auteurs de BD invités dans un décor de maison close à se mettre en scéne via leur avatar dessi­né) paraissent d’un vide assez abyssal. On se retrouve avec un long discours qui traite du concept sans s’inté­res­ser au résul­tat propre­ment dit. Plus intéres­sant ‑à mes yeux chafouins- plusieurs planches de Bsk qui compare son travail réali­sé autour de la ville d’Hyères avec des albums ”commer­ciaux” à vocation touris­tique consa­cré à cette même cité. Les réactions des gens qu’ils croisent renvoient à Mahler et ses problèmes de défini­tion de la BD. On peut lire aussi David Turgeon qui passe avec bonheur de Jean-Chris­tophe Menu aux Petits Hommes et au Scrameus­tache puis à la symbo­lique des yeux fixes dans la BD franco-belge (je regrette qu’il ne soit pas allé jusqu’à la famille Illico où les person­nages ont tous des regards ”vides” et le commen­taire fait par Kurtz­man dans une histoire de Little Anny Fanny). Ce texte corres­pond plus à mes attentes de réflexion sur la BD : une mise en perspec­tive histo­rique qui prend en compte aussi bien l’héri­tage franco-belge que l’impact de la BD jeunesse. Turgeon réflé­chit sur l’inté­rêt réel des Petits Hommes (aussi bien graphique que scéna­ris­tique) et mine de rien, ça permet de concré­ti­ser une espèce de débat jamais évoqué fronta­le­ment sur l’héri­tage de Franquin. Je suis moins convain­cu par son avis sur les premières aventures du Scrameus­tache qui me paraissent plus intéres­santes que ce qu’il en dit. L’irrup­tion d’un person­nage anima­lier quasi ”surhu­main” confron­té à un ado curieux et dépas­sé par ses actes m’avait fasci­né dans mon adoles­cence. Le compa­ra­tif avec le dessin de Peyo ne me parait pas non plus aussi perti­nent (mais bon, faut lire le texte pour comprendre ce que je tape ici).
Pour revenir à la revue, on pourra quand même se poser la question d’un discours de la BD qui semble s’affran­chir des 9/​10° de l’ensemble de la produc­tion actuelle pour se focali­ser sur une petite scène indépen­dante ou alors ne parler de la produc­tion franco-belge qu’en valeur histo­rique. Le problème des revues généra­listes de BD c’est qu’elles mettent au même niveau le dernier Uderzo avec le nouveau Blutch, mélangent albums d’auteurs et produc­tions commer­ciales sans souli­gner la distinc­tion. Il manque une revue qui, comme les Cahiers du Cinéma me semble-t-il, parle de TOUTE la BD actuelle en dégageant les auteurs impor­tants (même de mauvaise foi ou de manière insup­por­table, ce n’est pas grave). C’est la critique princi­pale que je ferai à Comix Club en me deman­dant si ça n’explique pas l’ ”échec finan­cier” ou plutôt le peu de public prêt à inves­tir de l’argent dans ce genre de revue. D’un autre côté, le concept de commen­taire de la BD en BD me parait riche en possi­bi­li­tés (cf. les planches de Bourgui­gnon) et on peut espérer d’autres aventures plus heureuses.
Pour termi­ner en beauté, Big Ben m’a très genti­ment invité à parti­ci­per à ce dernier numéro. C’est (paradoxa­le­ment ?) un grand honneur qu’il m’a fait puisque mon travail est très éloigné de la BD défen­due dans la revue. J’ima­gine qu’il ne lui a pas été facile de m’impo­ser et je le remer­cie d’autant plus. Je vous mets juste un extrait des deux planches publiées pour motiver d’éven­tuels achats :-).

Comix Club 11 – extrait

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12 commentaires

  1. Bel extrait;coté revues,il me semble que le (feu-feu)BANANAS d’Eva­riste Blanchet avait belle allure​.Je crois que notre-nos-générations(mais je ne parle peut etre que pour moi..?)ne se remet­tra jamais vraiment de la fin du support papier,de l’idée de la revue​.La dite revue qu’on lit,re,re-lit,qu’on empile comme un imbécile.La revue dont on attend le n°suivant avec ce m^me petit bonheur candide depuis l’enfance.La BD vue par la presse gratuite est désepérante,vue par CASEMATE,elle reste trop étroite mais vivante…Et c’est peut etre déjà ça.Et puis moi aussi je l’aimais ce Scrameustache.Voir un auteur qui n’a jamais pris son jeune public pour un flot d’incultes et de naifs me plait bien​.De Peyo,il a gardé le bonheur de racon­ter une histoire et ne faire aucune écono­mie de l’imagination.Pas mal.

  2. quand j’étais jeune le scrameus­tache ne me faisait ni chaud ni froid, j’étais plutôt petits hommes, c’est pourquoi j’insiste plutôt là-dessus. mais tu as sans doute raison, ce que je dis sur gos est assez sommaire. et bien vu pour les yeux vides de mcmanus (on pourrait ajouter ceux d’harold gray) même s’ils ont une fonction toute diffé­rente de ceux de franquin et compagnie.

    par contre, lorsque tu évoques l’héri­tage de franquin, je peux te dire que c’était bien évidem­ment l’une des raisons qui m’a fait écrire mon texte.

    sinon, je ne te suis pas du tout sur ton évalua­tion de la propor­tion de la bande dessi­née « actuelle » non traitée par comix club : je pense que ton évalua­tion est très exagé­rée (ou simple­ment provo­ca­trice). il me semble que cette propor­tion est loin de cette extré­mi­té, et ce malgré le fait que tout le monde fait ça bénévo­le­ment alors forcé­ment, chacun parle de ce dont il veut bien parler (dans comix club ça signi­fie surtout pas mal d’articles sur la jeune garde américaine).

    cela dit, aux états-unis il y a pas mal de critiques qui réussissent à avoir un discours élabo­ré et intel­li­gent sur les comic books ou les comics, autant que pour le « graphic novel » ou l’indé­pen­dant, voir par exemple le comics journal qui est parti­cu­liè­re­ment œcumé­nique. ici le neuvième art a essayé de tendre vers cet idéal mais il me semble que les critiques de talent manquent à l’appel. en franco­pho­nie, pour parler bande dessi­née populaire, je ne vois pas grand-monde, sauf sous l’aspect histo­rique, comme tu dis (ce que notre ami raymond faisait excel­lem­ment, dommage qu’il n’ait rien écrit depuis longtemps d’ailleurs).

  3. @david t : oui oui, je suis d’accord avec toi, les critiques jeunes parlent de ce qui les intéresse (et donc des indés ici) et ça manque de réflexion sur l’ensemble (par exemple, je suis effaré du manque de discours sur la produc­tion Soleil alors que les critiques ciné les plus pointues traitent du dernier Spider­man ou Hellboy sans broncher) (je ne parle pas ici de Comix mais de la critique en général). Après, pour les chiffres, il faudrait un type qui s’y connait, pas comme moi :-)

  4. Eh ben, voilà t’y pas que je suis d’accord avec tout ce que raconte notre ami Li-An, et sans avoir eu en main ce dernier numéro de Comix Club. Belle prouesse, non ?

  5. Le comix club ne s’arrête pas vraiment pour des questions commer­ciales de renta­bi­li­té, puisqu’on avait réussi un bel équilibre finan­cier basé sur une écono­mie de moyens, il s’agit surtout d’une sorte de lassi­tude, ainsi que l’envie chez Groinge de se consa­crer exclu­si­ve­ment à l’édi­tion de bande dessi­née. Au départ, l’idée était que les auteurs prennent la parole, et ça a plutôt bien marché de ce côté là, mais on se retrouve toujours avec une certaine insatis­fac­tion de ne pouvoir mener les choses en profon­deur par manque de temps. Si on s’arrête donc, c’est aussi pour prendre un peu de recul et envisa­ger une suite quand l’envie sera plus forte.
    Ceci dit, on n’a jamais eu de préten­tion à l’exhaus­ti­vi­té dans le Comix Club, au contraire même, on a toujours cherché à défendre la petite édition, et donc forcé­ment on s’est effor­cé de parler de ceux dont on ne parle pas habituel­le­ment, soit parce qu’ils ne sont pas dans l’actua­li­té, soit parce qu’ils sont trop discrets. C’est sûrement anti-commer­cial, mais ça nous donnait une bonne raison d’exis­ter. Mais je partage tes regrets sur l’absence d’une revue d’étude et d’opi­nion plus large, type les cahiers du cinéma. Ca a existé à la fin des années 80 avec les cahiers de la bande dessi­née période Groens­teen qui reven­di­quaient la filia­tion et voulaient construire une critique large et orien­tée, pour offrir une vision globale et exigente de la bande dessi­née. Ca manque beaucoup, c’est sûr, et on voit ici que la bande dessi­née n’est pas vraiment encore l’art mûr et recon­nu qu’on veut bien nous décrire car quand il s’agit de l’étu­dier, d’y réflé­chir, ça reste encore à l’ini­tia­tive de quelques volon­tés indivi­duelles et isolées. Pas d’édi­teur qui ne s’y colle mis à part quelques indés comme nous, l’Asso, ou encore récem­ment Mécanique Générale. Qu’au­cun éditeur dit ”commer­cial” ne s’y colle, c’est tout simple­ment ahuris­sant (je rappelle que les cahiers de la bande dessi­née, c’était Glénat, qui pendant une ‑courte- période, a laissé quartier libre à l’équipe rédac­tion­nelle). Je suis peut-etre un doux rêveur, mais il me semble qu’un ”gros” éditeur aurait tout à gagner dans un tel projet : ça ne coûte pas exces­si­ve­ment cher pour peu qu’on ne fasse pas dans la mégalo­ma­nie (et qu’on évite les kiosques), et cela peut entraî­ner de surpre­nantes et bénéfiques aventures pour peu qu’on laisse la liber­té aux auteurs et aux critiques.

    C’est une branche essen­tielle de tout art, cette capaci­té de construire un discours, une réflexion sur sa pratique, cela exprime la volon­té d’expri­mer une conscience de soi. La bande dessi­née a cette parti­cu­la­ri­té d’expri­mer une conscience de soi parfai­te­ment épisodique.

    C’est ”A suivre” à tous les étages. A bientôt, donc !

    • Merci pour ces préci­sions éclai­rantes. Évidem­ment, je ne peux pas vous repro­cher vos choix puisque je ne fais pas partie de l’équipe, c’était juste mes envies à moi que j’expri­mais :-) Je pense que l’absence de critiques vient du fait que les gens menta­le­ment orien­tés vers ce genre de choses s’orientent plus facile­ment vers la litté­ra­ture (après tout un critique écrit) ou le cinéma (diffi­cul­té de la réali­sa­tion, mytho­lo­gie des acteurs et du metteur en scène, argent…) que vers la BD qui demande une acroba­tie compli­quée : il faut pouvoir commen­ter un scéna­rio, une narra­tion et un dessin. Souvent le troisième point pose problème…

  6. :-)

    J’aime bien l’article wikipe­dia à propos des Cahiers de la bande dessi­née, justement :

    ”En 1988, Groens­teen commence à ressen­tir une certaine lassi­tude, d’autant que ses relations avec Jacques Glénat atteignent un degré de tension insupportable[2]. Ainsi, lors du Festi­val de Sierre, l’édi­teur lui hurle en public : « Le travail que vous faites est nuisible à la profession ! ».

    Ce qui est sûr, c’est que ça ne viendra pas des éditeurs… et c’est peut-être tant mieux ? Les cahiers du cinéma étaient une initia­tive de cinéphiles avant tout.

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