Carnet de santé foireuse, une BD explosive de Pozla (Delcourt)

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La BD médicale est devenu un genre en soi – la multi­pli­ca­tion des genres en BD ne cesse­ra pas de m’éton­ner – et, après le Quand vous pensiez que j’étais mort de Matthieu Blanchin que je n’ai toujours pas lu – voilà un gros pavé de 368 pages signé Pozla.

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Un des meilleurs albums BD depuis longtemps

J’avais déjà remar­qué le travail de Pozla, cf. ma chronique expresse de Monkey Bizness et j’avoue que c’est encore le dessin qui m’a accro­ché l’œil dans cet autobio­gra­phique Carnet de santé foireuse – je n’aime pas trop les autobio­gra­phies BD en général.

Pozla, c’est un gars à la cool, un grapheur de première dans sa jeunesse, un skateur, un fumeur de bonne beuh – genre le type qui vous saoûle par sa cooli­tude et sa casquette sur les yeux – mais qui traîne depuis sa plus tendre enfance des problèmes gastriques. Le transit se passe mal, les douleurs sont carabi­nées, les odeurs intenables. La floppée de médecins consul­tés botte en touche et ne voit rien de parti­cu­lier jusqu’à ce que de gros vrais spécia­listes diagnos­tiquent une maladie de Crohn. Le mal étant défini, il faut passer au traite­ment et à la chirurgie.

Pozla raconte son dur combat contre la maladie, ses rapports avec l’ins­ti­tu­tion médicale et ne cache rien de sa souffrance, de ses espoirs et son déses­poir. Mais il a l’intel­li­gence de ne pas en faire un gros trucs dépres­sif comme les États-Uniens semblent en pondre à la pelle – vous savez, ces romans graphiques noir et blanc au dessin ”juste sorti de l’école d’Art” qui réussissent à faire ressen­tir une déprime glauque de banlieue de Détroit sous une neige fondue – mais joue sur ses sensa­tions et son humeur avec le dessin. Il a essayé de travailler pendant son hospi­ta­li­sa­tion et réussit à trans­crire sa douleur physique par le graphisme de manière très impressionnante.
En général, les artistes repré­sentent la souffrance existen­tielle ou la douleur des autres mais rarement la douleur physique ressen­tie – je ne trouve même pas d’exemple. C’est un dessin explo­sif, un labyrinthe de tripes rouges, des trouvailles visuelles étonnantes qui extério­rise de manière fasci­nante ces sensa­tions diffi­ciles à décrire quand on les subit.

Cette inven­tion graphique, cet humour ironique sur sa situa­tion (corbeaux commen­ta­teurs, médecins en moines zen…) et les pointes de tendresse – Pozla est devenu jeune papa au moment où il décou­vrait la réali­té sur sa maladie – fait de Carnet de santé… un des meilleurs albums que j’ai lu ces dernières années (il y a comme un parfum de Franquin là-dedans).

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-atten­tion, ça va spoiler au chapitre suivant-

…jusqu’à la page 340

Mais une autobio­gra­phie, ce n’est pas une histoire, c’est aussi bancal que la vie.
Le livre ne montre pas que la maladie et les réponses médicales, il décrit aussi le chemi­ne­ment intérieur de Pozla qui est obligé de modifier son alimen­ta­tion et son compor­te­ment pour s’adap­ter aux contraintes et effets secon­daires des médica­ments. Qui voit un psy pour accor­der son âme à son corps.
Jusqu’à ce qu’une collègue lui parle d’un régime. Et là, et là… Et là on tombe dans autre chose.

Brusque­ment, nous voilà dans le monde merveilleux des solutions miracles. Un petit régime et zouu, tous vos problèmes sont réglés ! Non seule­ment vous êtes guéri mais vous pétez la forme, les gens vous donnent de l’argent et la guerre dans le monde s’arrête. J’exa­gère à peine. Tout ce qui faisait la force du bouquin se dilue dans une décou­verte miracu­leuse – et on est ravi rétros­pec­ti­ve­ment pour Pozla de voir qu’il s’en tire. Sauf qu’à le lire, c’est un peu comme se retrou­ver à discu­ter avec une fan de nourri­ture macrobiotique.
Cette rémis­sion est très frustrante puisqu’il n’y a aucun recul. Est-ce que le régime miracle va fonction­ner vraiment tout le temps ? Quel va être l’état des os de Pozla dans vingt ans (il évite tous les produits laitiers) ? Est-ce qu’il a le droit de tirer un joint ? Voilà une question qui n’est pas anodine : la fumette est un élément impor­tant du livre. Elle a permis à Pozla de suppor­ter la douleur quand il était jeune et il parle de manière intéres­sante de ses effets sur son corps en traite­ment. Mais le régime miracle de dit rien sur la fumette. Alors, bon ou mauvais ? Un mystère non résolu.

On passe donc d’un formi­dable bouquin qui réussit le tour de force de parler d’une souffrance person­nelle d’une manière très graphique à la promo­tion d’un régime nutri­tion­nel un peu planplan. Super génial pour le malade, un peu frustrant pour le lecteur. Mais, franche­ment, c’est une BD vraiment impres­sion­nante d’une richesse visuelle qui se fait un peu rare à mon goût. Arrêtez juste la lecture quand tout va mieux…

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7 commentaires

  1. Suite à une série de bonnes critiques et un prix spéciale du jury au Festi­val d’Angou­lême 2016 (archi-mérité), j’ai décou­vert ce livre. Et bien que je sois en pleine lecture, vers la moitié, pas besoin d’avoir termi­né et ”digéré” (sans jeu de mot mal placé) le livre pour me rendre compte que je tiens-là un vrai CHEF D’ŒUVRE !! D’une inven­ti­vi­té formelle et narra­tive inouïe, cet album vous prend aux tripes (c’est le cas de le dire), vous secoue, vous malmène parfois et toujours vous boule­verse. Comme tu le dis, Pozla fait preuve d’un immense humour (noir) et d’une capaci­té de prendre à la dérision la gravi­té, de la rendre presque légère. Bref, MON immense coup de cœur du moment.
    A ranger dans les bonnes BD médicales, ”genre” que j’affectionne parti­cu­liè­re­ment, à coté de ”H.P 1 & 2” (Lisa Mandel), ”Fables Psychia­triques” (Darryl Cunnin­gham), ”Une Case En Moins – La Dépres­sion, Michel Ange & Moi” (Ellen Forney), ”L’ascen­sion du Haut Mal” (David B.).…
    A +

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