Jack Palmer – la trilogie médiatique (Pétillon – Dargaud)

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Le lecteur vigilant aura remar­qué que je n’étais pas à St Malo cette année mais ça ne m’a pas empêché de claquer de l’argent à la Bourse aux livres & CD d’Orléans, une espèce de manifes­ta­tion qui voit le rassem­ble­ment d’une troupe de bouqui­nistes et disquaires d’occa­sion de toute la France/​Belgique. Après avoir payé un droit d’entrée, vous vous rendez rapide­ment compte qu’il va falloir trouver le moyen de compen­ser cette perte finan­cière par un achat bien ciblé. J’ai bien cru m’être fait rouler dans la farine jusqu’à tomber sur des Jack Palmer que je n’avais plus lus depuis longtemps. Hop, dans la besace…
Dans les années 80, la BD était jeune et branchée. Elle envahis­sait la publi­ci­té, les pochettes de 33/​45 T et même la télé… Pétillon crée son person­nage de Jack Palmer dans les années 70. Détec­tive pourri mais doté de l’uni­forme du parfait petit privé Chand­le­rien, Palmer est un gaffeur énorme qui ne supporte pas l’alcool et qui n’arrive pas à passer son permis de conduire. L’humour des premiers albums est très inspi­ré par le magazine Mad. Des cases remplies de gags quelque fois surréa­listes, des person­nages carica­tu­raux et débiles, on est dans une espèce de filia­tion Pilote/​Gotlib.

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Les dispa­rus d’Apos­trophes (1982) va changer la donne. Pétillon épure son dessin qui lorgne désor­mais vers une ligne claire très années 80. Le scéna­rio est plus construit mais conti­nue dans le délire. Palmer est engagé par Mme de Frouth, grande bourgeoise veuve de général, suite à l’enlè­ve­ment de son fils ainsi que le reste des auteurs invités à Apostrophes, la fameuse émission litté­raire animée par Bernard Pivot qui faisait les délices de la France de l’époque (une espèce de Koh Lanta litté­raire pour que nos jeunes lecteurs puissent visua­li­ser). Cela permet à Pétillon quelques scènes étonnantes : un cocktail litté­raire mondain ou une émission spéciale d’Apos­trophes en gilet pare-balles. C’est que le docteur Super­mar­ken­stein , l’enne­mi juré mais cool de Palmer est derrière toute cette affaire. Ce person­nage récur­rent est classique de l’humour de Pétillon à l’époque. Dans cet épisode, un des auteurs enlevé, une monitrice d’auto école, a écrit un livre pour se venger de Palmer, élève conduc­teur calami­teux, et chaque sortie automo­bile de ce dernier va faire souffrir l’auto école en question (on pourrait compa­rer ça aux Vikings dans Astérix). De la même manière, Jean-Edern Allier n’arrête pas de s’impo­ser dans toutes les émissions télé et même dans le film de la soirée, Franken­stein (évidem­ment). Bon, je ne vais pas expli­quer qui était Jean-Edern ici… Le vrai Pivot fera une bonne publi­ci­té pour l’album alors qu’il recon­nait qu’il ne lit pas de BD.

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Le meilleur de la série est proba­ble­ment Le chanteur de Mexico (1983), prépu­blié dans Téléra­ma (comme quoi, on peut publier autre chose que des reprises du Petit Prince ou la Bible), s’attaque au monde du rock de l’époque. À l’époque, les Enfants du Rock attiraient tous les jeunes amateurs de décibels, Manoeuvre et Dionnet jonglaient entre télé et Métal Hurlant où l’on pouvait lire Kent et Eli Medei­ros. Le rock et la BD semblaient unis pour un avenir jeune et bruyant et Pétillon met le pied gauche en plein dedans. Willy de Mexico (qui explique le titre un peu pourri et en référence à Willy deVille, paix à son âme), jeune chanteur en pleine ascen­sion dispa­rait mysté­rieu­se­ment. Palmer est engagé par la maison de disques pour le retrou­ver. Maison de disques tenue par une grande bourgeoise aux cheveux roses, un ancien officier de Marine qui réussit à monter un spectacle opera rock sur le thème de la défaire française de Mers El-Kebir, et un jeune homme comme il faut qui a un langage corpo­rel parti­cu­lier. La grande bourgeoise, on l’avait déjà vue avec Mme de Frouth dans l’album précé­dent, une succes­sion de person­nages de pouvoir coincés et mater­nels à la fois. Palmer se contente d’être témoin de l’action qui le dépasse complè­te­ment entre deux accidents de voiture (il remonte d’ailleurs la sienne dans sa chambre de bonne) et on retrouve évidem­ment Super­mar­ken­stein de plus en plus cool. C’est presque une non aventure à la Bijoux de la Casta­fiore où paradoxa­le­ment, Palmer se bat même effica­ce­ment. Pour le coup, le dessin est très ligne claire et parti­cu­liè­re­ment efficace.
Avec Le prince de la BD, Pétillon boucle une trilo­gie de manière très logique : il était temps qu’il se penche sur un média qu’il connais­sait parfai­te­ment associé ici au cinéma. Sous une couver­ture un peu anecdo­tique (private joke pour initiés), on retrouve un person­nage croisé dans l’album précé­dent : Modagor, petit truand recon­ver­ti dans le cinéma qui veut adapter la BD d’un jeune prince déchu, le comte Moldo. Une idée qui ne plait pas aux services secrets de la Bovnie qui cherche à le liqui­der malgré un sous équipe­ment motori­sé grati­né. D’ailleurs Palmer a abandon­né l’idée de passer le permis et traîne un scooter pourri. Moldo est édité par les éditions Samu gérée par Mme Samu et son fils. Ces deux person­nages m’ont durable­ment marqué en tant qu’ap­pren­ti auteur de BD. J’ignore d’où Pétillon les a sorti mais la vieille dame près de ses sous qui semble incapable de libel­ler un chèque correc­te­ment et son fils énorme et manié­ré sont étonnants. Palmer est vite écarté de l’enquête mais ne peut pas y échap­per. Il croise deux collègues efficaces et de petits truands ferailleurs. L’ama­teur de BD se réjoui­ra de la descrip­tion du petit festi­val et l’ama­teur de ciné des préten­tions intel­lec­tuelles de Moldo qui exige Wim Wenders à la mise en scène avant de choisir un obscur incon­nu qui n’est pas sans rappe­ler Jean-Luc Godard. Le dessin s’allège progres­si­ve­ment et le scéna­rio de plus en plus ancré dans une réali­té quoti­dienne ne fait plus inter­ve­nir Supermarkenstein.
Lire les trois albums à la suite font apparaître une cohérence d’uni­vers et une évolu­tion qui accen­tue le plaisir de lecture, sans compter les gags récur­rents, ce qui m’a donné l’idée de faire un billet collec­tif plutôt que de me pencher sur un seul album.
Je n’ai pas lu les albums suivants (il me semble que ce soit plus une suite d’his­toires courtes dessi­nées de manière rapide). Pétillon va bientôt se lancer dans le dessin de presse avec un change­ment radical dans le dessin. Palmer revient dans une aventure complète avec L’enquête corse qui m’a déçu par rapport à cette trilo­gie. Palmer n’est plus qu’un témoin un peu passif et son poten­tiel comique est sous exploi­té à mon avis. Du coup, je n’ai pas encore testé les derniers albums.

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20 commentaires

  1. Je n’ ai lu à l’ époque que des ”bouts” de ces bédés ce qui, je m’ en rends compte mainte­nant, était un incon­vé­nient des magazines Je n’ ai été abonné durable­ment qu’ à Spirou et ai de ce fait raté en leur temps nombre de bédés majeures. Je me suis rattra­pé plus tard pour des séries comme l’ Incal et l’ Oiseau du Temps.
    J’ appré­cie donc ta critique de ces albums qui m’ a d’ ailleurs donné envie de les lire quand je les trouverais.
    On voit combien Pétillon a intel­li­gem­ment digéré des influences diverses pour ne pas dire à priori incom­pa­tibles (Un surréa­lisme et un rendu ”à la Masse” et Hergé qui est manifeste dans la conduite du récit). On peut aussi appré­cier un courage dans l’ évolu­tion et l’ expéri­men­ta­tion graphique, à chaque change­ment de style il est excellent.
    La planche des dispa­rus d’ Apostrophe me fait penser à Lacroix (”l’ Homme au Chapeau Mou”).
    Enfin, je trouve que les cases du bas de la planche 17 du ”Chanteur de Mexico” sont un morceau d’ antho­lo­gie de la narra­tion figura­tive (la bédé quoi !)

  2. @oralik : c’est vrai que c’est une jolie séquence surtout que le son n’est pas traité à la ”franco-belge” avec des onoma­to­pées partout et du coup, le gag n’est pas immédiat à la visualisation.

    @Hobopok : ?? J’ai fait une faute d’orthographe ?

  3. @Totoche : ça fait longtemps que je ne l’ai pas croisé celui-là, il faudra que je le refeuillette. Je sais que le dessin me semblait plus ”faible” à une époque.

    @david t : j’ima­gine que certains gags très ”français” ont dû faire peur aux importateurs.

  4. Bon, ben à cause de toi, je l’ai acheté. Sauf que je me rappelle l’avoir lu il y a peu. J’espère qu’il n’est pas dans ma bibliothèque…

  5. En ce qui concerne les influences je voudrais m’ expli­quer parce que je sais que j’ ai un peu tendance à abuser de leur utili­sa­tion. J’ y peux rien, ça vient tout seul, c’ est pas pour dépré­cier ou minimi­ser un artiste (je trouve par exemple que l’ influence de Moeb’ dans tes bédés automa­tiques ou dans celle d’ Olivier Martin sur son blog si elle est évidente n’ enlève néanmoins rien à la quali­té du travail ni même à une appro­pria­tion perso d’ un style majeur). Il y a une bonne inter­pré­ta­tion de l’ influence ininter­rom­pue des artistes dans l’ un des derniers billets de Trouba­dour sur Miller dans Wartmag.
    @ Li-An : As-tu vu que dans le dernier Casemate ils parlent (Pétillon compris) du dernier Palmer… J’ vais regar­der ce qu’ ils en disent.
    Entre paren­thèses je sais pas ce que vous pensez de ce magazine, moi j’le trouve pas mal…

  6. Je ne lis plus ces magazines généra­listes depuis longtemps. Déjà, ils ne parlent jamais de moi, ah ah (j’exa­gère un peu quand même) et surtout ça manque de point de vue je trouve. Pétillon a encore changé son dessin dans le nouvel album. Comme je n’aimais pas trop son trait ”presse”, je vais un peu attendre les avis pour me décider.

  7. ”Ca ne parle pas de moi” : tu as raison, c’ est une honte !

    ”Ca manque de point de vue” : effectivement,ça manque de recul
    et de sens critique. Il y a néanmoins quelques rubriques assez sympa­thiques (un dessi­neux qui parle d’ un prédécesseur
    qui l’ a marqué, les auteurs qui décor­tiquent un peu leur cuisine…) mais ce que tu dis n’ est pas faux.

    A part ça, est-ce que tu peux nous dire quand tu es sur un festi­val. J’ aimerais bien ( est-ce toujours souhai­table de rencontrer
    ses corres­pon­dants inter­net je n’ en sais rien, peut être n’ es-tu pas la blonde à forte poitrine que je crois…)rencontrer l’ auteur de ce blog en chair et en os (qui a dit ”surtout en chair” ?)…

  8. Oh, j’ima­gine bien qu’il y a des choses à picorer mais ça fait une éterni­té que je n’ai pas acheté ce genre de choses.

    Toutes mes séances de dédicace sont affichées dans la sidebar en haut à droite. Pas grand chose en ce moment car pas de nouveau­té. En fait, c’est pas tout à fait vrai, on m’invite pour Boule de Suif dans des média­thèques à plus de 5 heures de train de chez moi et je n’ai pas le temps ni le courage d’accep­ter. Et je suis plutôt maigre…

  9. Ayant abandon­né pétillon aprés les ”Carottes sont cuites” oui je sais ça date mais mes meilleurs souve­nirs reste le ”chiens des Basket­villes” :ça date encore plus j’avoue n’avoir que lu dans Pilote/​charlie cette trilo­gie média­tique ta chronique m’a donné l’envie de m’y replon­ger mais pour ça il va me falloir arpen­ter les Brocantes alentours. En atten­dant je viens de lire sa derniére produc­tion ”Enquête au paradis” si le dessin s’est un peu raffer­mi le scenar est d’une désolante plati­tude bien loin des délires d’antans allez je cours me relire ”Palmer contre Dr Supermarkenstein”.

  10. On les trouve facile­ment d’occaz (j’en suis la preuve vivante :-)). Les anciens sont un peu ”too much” pour moi :-)

  11. Oui, c’est de la bonne came, tout de même moins prévi­sible que les derniers (Affaire en Corse, etc) qui selon moi manquent un peu de jus.
    Je me trompe où, après la sortie des Dispa­rus d’Apos­trophes, Allier a vraiment dispa­ru (une mise en scène) si bien que Pétillon a été inter­ro­gé ? Ou j’ai déliré ?

    • Non, tu ne rêves pas (bon, tu étais trop jeune pour suivre ça), Allier avait bien dispa­ru ”à l’insu de son plein gré” et Pétillon s’est vu convo­quer par la police (mais par pure routine). Bon, un avis positif pour ce dernier volume alors.

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