Hommage… ou pas hommage à Charlie ?

Une semaine après le lâche atten­tat contre Charlie Hebdo, voilà un nouveau numéro en kiosque que j’espère choper en allant acheter mon pain.

Je dois avouer que ce sera mon premier Charlie. Je n’ai jamais été super fan du dessin de presse qui fonctionne mieux en appoint ou en respi­ra­tion dans un journal qu’en dose conti­nue à mes yeux. Et mon goût pour le dessin est plutôt frustré à une époque où l’idée peut se passer du graphisme. C’est d’ailleurs une des raisons qui m’a toujours fait regret­ter l’époque Pilote de Cabu.

J’ai eu la chance de décou­vrir dans ma jeunesse des numéros du fameux magazine BD et le grand Duduche de Cabu m’inter­pel­lait sérieu­se­ment. Dans ces BD, je ne recon­nais­sais absolu­ment pas l’école puis le collège que je vivais et les figures d’auto­ri­té qu’il moquait n’évo­quaient rien pour moi – a poste­rio­ri, je retrouve bien des person­nages croqués mais leur complexi­té ne cadrait pas avec l’iro­nie grinçante de Cabu où les méchants sont affreux, bêtes et méchants sans beaucoup de subti­li­té. Le grand Duduche me parlait bien par contre, ce grand échalas maladroit amoureux de la fille du provi­seur. Ensuite, les années 80 ont vu un Cabu qui partait dans tous les sens, focali­sé sur le person­nage du beauf qui ont fait sa notorié­té à l’époque et on le voyait sur Récré A2 faire le rigolo. Les BD croisées – genre adapta­tion de film de seconde zone – me faisaient regret­ter la grande élégance de ses Duduche. Et les gags ne me déclen­chaient pas des crises de fou rire. Mais il était quasi impos­sible qu’un gamin qui ait grandi en Allemagne, inter­nat militaire, la Réunion, St Malo etc… se retrouve dans un univers plutôt parisien peuplé de punks et de policiers bas du front.

Le grand Duduche - Cabu
Le grand Duduche – Cabu

Je connais mieux le travail de Charb dont je croisais réguliè­re­ment les gags dans des tas de revues. Je le trouvais toujours très efficace et souvent surpre­nant mais, bon, des petits bonhommes jaunes tout moches, ça ne me donnait pas envie de décou­per le magazine. Tignous était plus proche d’un dessin qui m’attire. Très inven­tif et vivant dans son trait, c’est celui dont je suis le plus proche d’ache­ter un recueil.

charb-charlie
Charb – zut, touché
Tignous se méfie du terrorisme
Tignous se méfie du terrorisme

Reste le cas du grand Wolins­ki… auquel je n’ai jamais accro­ché à aucune période de ma vie. Il a fallût attendre sa mort pour que je comprenne les raisons de sa popula­ri­té et du respect qu’on lui portait. Un histo­rien du dessin de presse, enten­du à la radio, le présen­tait comme l’artiste qui a cassé le besoin d’un ”beau” dessin pour faire du dessin politique – il citait Faizant comme exemple de beau dessin ininté­res­sant de l’époque. J’aurai bien aimé lever la main et poser la question de Simpli­cis­si­mus ou de L’assiette au beurre mais le monsieur ne m’enten­dait pas.
Et donc, à l’ins­tar de Sfar en BD, Wolins­ki a libéré le dessin de presse par son trait aérien – et son goût pour les filles girondes qui se laissent peloter. Même quand j’étais jeune, je trouvais que c’était de l’humour de vieux et son parcours via l’Huma­ni­té (de 1977 à 1984) et Paris Match me laissait tout aussi perplexe. Évidem­ment, je ne connais/​connaissais qu’une toute petite partie de son travail et j’igno­rais son engage­ment histo­rique dans une presse de gauche ”combat­tante”. Pour tout dire, je viens à peine de comprendre son impor­tance édito­riale BD à la tête de Charlie Mensuel.
Mais j’ai bien peur que pour moi, à jamais, Wolins­ki reste le dessi­na­teur de Paris-Match qui dessine des mecs reluquant les fesses des filles en faisant des blagues un peu pourries sur l’actualité.

Wolinski-Match-mars-1969
Wolins­ki – purée ce dessin

Leur mort à tous – et les autres victimes – m’a profon­dé­ment choqué. Je ne lisais pas Charlie et je n’ai jamais été un grand amateur du dessin de presse – proba­ble­ment parce que mes tenta­tives dans le genre ont toujours été catas­tro­phiques – mais ils perpé­tuaient un esprit icono­claste et un peu potache qui accom­pagne des artistes que j’aime beaucoup – Franquin, Goossens ou Gotlib. Il y a évidem­ment un côté nostal­gique d’une période qui ne s’embarrassait pas de politi­que­ment correct et qui préfé­rait le combat intel­lec­tuel au senti­ment de culpa­bi­li­té. Mais leur besoin de rendre à l’indi­vi­du sa liber­té de pensée face aux groupes quels qu’ils soient me parait un combat d’ave­nir qui justi­fie que l’on s’agace sur certains dessins, que l’on sourie ou que l’on rie franche­ment. Et donc, allez acheter Charlie aujourd’­hui pour vous étran­gler ou vous enthousiasmer.

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10 commentaires

  1. Je ne suis pas certain d’avoir réalisé.Ma tête secouée croit avoir réalisé;mais ça ne doit pas être encore le cas.
    Aujourd’hui,tout le monde semble s’observer.Guetter un faux-pas pour vite le dénoncer;et ça parle beaucoup,beaucoup,beaucoup.
    ça se déchire pas mal dans cette tête.
    Cher Cabu.”Héritier” pointé par Beuville qui l’aimait.Et l’a dit.
    Le blog de Forca­dell dit tout plein de choses à leurs sujets.
    Il y avait Honoré également.Il est un peu oublié,mais c’est la loi du genre.
    Ton billet est d’une grande délicatesse.La pudeur,c’est pas mal.

    • Toujours pas trouvé de numéro de Charlie. Étran­ge­ment, ça a des côtés positifs, cette horreur. La France, ce qu’elle repré­sen­tait, ce qu’elle était devenait de plus en plus flou – et il y a une jolie pierre de fonda­tion pour s’appuyer dessus maintenant.

      Et j’en ai un peu marre des demandes de dessin d’hom­mage. Je vais en faire à ma manière toute cette année en espérant avoir l’inspiration.

  2. J’ai été très triste en appre­nant cette terrible nouvelle.…

    Comme beaucoup de gens de mon âge, celui que je connais­sais le mieux c’était Cabu, et pas forcé­ment par son versant le plus glorieux : son travail avec Dorothée. Indépen­dam­ment des souve­nirs d’enfance, c’est le trait de Cabu que j’admire le plus. C’est vraiment un très grand dessinateur.

    Intéres­sant cette façon de présen­ter Wolins­ki, comme celui qui a cassé la néces­si­té du beau dessin. Je n’avais jamais enten­du cette thèse.…

    Tignous, je ne le connais­sais pas vraiment mais j’ai décou­vert sur Twitter son travail de repor­tage dessi­né effec­tué dans les prisons et j’ai envie d’en savoir plus…

  3. A noter (vu l’orien­ta­tion du blog et de son auteur, je me permets) que Tignous avait dessi­né de la sf et de l’heroic-fanta­sy pour des jeux de rôles dans les années 80, sous son vrai nom de Bernard Verlhac (j’ai appris ça au milieu de tous ces évènements)

  4. Secoué aussi par les faits, et dur d’y croire. Perso ça me donne l’impres­sion qu’un bout de mon adoles­cence, puis de ma vie de jeune étudiant des B.A. a foutu le camp bruta­le­ment. Je regret­te­rais presque d’avoir fichu en l’air les quelques exemplaires de l’heb­do que j’avais achetés à l’époque. Ce n’était qu’un hebdo. Mais ça me faisait bien marrer. Après je suis devenu sans doute trop vieux trop con trop bof, et j’ai plus acheté. Bon, pour conso­la­tion, et pour retrou­ver un peu les gars, et d’autres, il me reste toujours un an d’abon­ne­ment de Charlie mensuel de l’époque. Paix à leur âme, salut les gars.

    • En même temps, il ne faut pas se forcer à acheter les magazines : c’est à eux de nous prouver qu’ils en valent le coup.

      Bah, soit leur âme brûle en enfer, soit c’est le grand vide…

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