Shangri-La (M. Bablet – Ankama)

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Il ne faut pas croire, j’ai une déonto­lo­gie (toute person­nelle) sur ce blog : je ne dis pas du mal des premiers albums. Il est impos­sible pour un(e) jeune auteur(e) d’avoir le recul néces­saire pour réali­ser un album sans défaut impor­tant. Le désir violent de création , le besoin de tout mettre, l’apprentissage du travail au long cours, les espoirs longtemps portés font du prenier album une espèce de labora­toire approxi­ma­tif qu’il faut lire avec beaucoup d’indulgence. Aussi, je retien­drai ma désor­mais triste­ment célèbre ironie cinglante pour chroni­quer Shangri-La, ce premier ouvrage de Matthieu Bablet qui… Ah, on me parle dans l’oreillette. On me dit que ce n’est pas du tout un premier album…

Où j’ai rangé ma tronçon­neuse, chérie ?

Le Bon

La Terre est perdue et ce qui reste de l’Humanité est parquée dans une station orbitale gérée par une grande compa­gnie qui maintient la popula­tion dans une forme de socié­té de consom­ma­tion aliénante. Scott, le person­nage princi­pal, est chargé de nettoyer des labora­toires scien­ti­fiques dans lesquels se sont dérou­lés des expériences qui ont mal tourné. Ce qui n’est pas sans inquié­ter ses collègues, amis et frère qui ne supportent plus la façon dont la station est gérée.

J’avais lu/​entendu beaucoup de bien de Shangri-La, un gros pavé purement SF qui a même été sélec­tion­né pour le meilleur album à Angou­lême. En le feuille­tant, j’ai été frappé par le travail graphique impres­sion­nant et la capaci­té de Bablet à créer des décors marquants. Cette minutie est soute­nue par des couleurs de belles factures qui évitent le tape à l’œil avec classe. Et mon libraire me l’a assuré : pour lui, c’est Shangri-La qui aurait dû avoir le prix du meilleur album. Je n’ai pas les mêmes goûts que mon libraire. Ça va se vérifier une fois de plus.

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La Brute

Atten­tion, divul­gâ­chage à tous les étages – Dans une station spatiale en orbite autour de la Terre, la science a été trop loin. L’Humanité se résume à des clones au cerveau atrophié qui pensent comme des post-ado du XXIème siècle dont une bonne part du patri­moine génétique est issue des bonhommes Playmo­bil. Ils cherchent de manière désor­don­née à lutter contre l’ordre établi et les expériences délirantes de savants fous et ça va mal finir, je vous le dis Mme Michu !

Une fois la lecture entamée, ça a été la soupe à la grimace. Qui a dit « Quand j’ai un message à faire passer, je fais une vidéo sur YouTube, pas une BD. » ? Pas la chroni­queuses de France Cul qui balance « Qu’est-ce que cette œuvre nous dit du monde d’aujourd’hui ? ». Avec Shangri-La, elle va être servie.

Bablet pointe du doigt la socié­té de consom­ma­tion accusée de mainte­nir la popula­tion dans la passi­vi­té politique. C’est en effet la solution trouvée par les dirigeants de la station pour contrô­ler tout débor­de­ment. On envoie les publi­ci­tés et les braves couillons oublient de penser pour se préci­pi­ter au magasin. Et j’ai couiné une première fois. Parce que le comble du chic dans ce futur lointain c’est… la tablette. Oula, de la SF qui déchire grave sa mère. Bon, ce n’est pas très pertur­bant puisqu’on se demande un peu où ces braves consom­ma­teurs rangent leurs cartons vu la taille de leur logement aussi vaste qu’une cuisine d’un deux pièces parisien. Taille justi­fiée par l’économie de place dans la station qui… ah, autant pour moi, la station a des espaces intérieurs dignes d’un centre commer­cial US. C’est donc plein de vide inutile qui fait de magni­fiques perspec­tives mais rend la concep­tion des logements surréaliste.

Ensuite, on a le thème de la souffrance animale. Top tendance. Des scien­ti­fiques fous ont créé une race animoïde, en résumé des humains avec des têtes d’animaux (on ignore pourquoi). Ces animaux pensants et parlants (enfin, tout comme vous sauf qu’ils ont une tête d’animaux) se font agres­ser par de sombres abrutis sans que personne ne bouge le petit doigt pour les aider (même leurs collègues ou copains humains). Ce qui nous fait un thème bi-classé racisme.

Et, finale­ment, la folie de la science sans conscience. Les mêmes scien­ti­fiques dingues projettent de créer une nouvelle race pour l’envoyer coloni­ser Titan. « Ainsi nous serons comme Dieu. » D’ailleurs, ils n’hésitent pas à sortir le flingue pour montrer qui est le chef. Et racontent tout au héros pour qu’il comprenne bien les enjeux. Oui, comme les savants fous des feuille­tons du début du XXème siècle. À la diffé­rence qu’ils sont toute une bande. Qui doivent repop­per 1 vu que leurs expériences tournent à la cata systé­ma­ti­que­ment. Vous vous deman­dez « Que pense le reste de la commu­nau­té scien­ti­fique de ce délire ?». Le reste de la commu­nau­té scien­ti­fique ? Mais comme vous y allez ! Ça n’existe pas. Ces gens sont tous des dingues (peut-être pas ceux qui ont conçu ces robots-suits super cools mais ce ne doit pas être de vrais scientifiques).

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Bon, il y a d’autres trucs (les politi­ciens veulent juste le pouvoir, pas s’occuper des gens par exemple) mais je fatigue. J’ai été un peu surpris qu’il n ’y ait rien sur le conflit pales­ti­nien ou les sexua­li­tés alter­na­tives mais dans ce dernier cas, ça aurait déton­né. Car dans cette station, on ne tombe pas amoureux. On ne baise pas. On n’a pas de parent ni d’enfant. On ne lit pas, on ne regarde pas de film, on ne se préoc­cupe pas de culture. On déambule en causant comme des ados dans un centre commer­cial. Une station peuplée entié­re­ment d’ados anesthé­siés en goguette dans en centre commer­cial. Bon, on ne nous explique pas trop cette absence de désir et de marmots, ce qui est agaçant parce que je n’arrive pas à décider si c’est un oubli ou une volon­té scénaristique.

Et je vous dévoile le twist : en fait, les dirigeants sont planqués sur la Terre qui est redeve­nue viable où ils vivent dans des maisons en bois en sirotant de la limonade. Je n’invente rien. Et ils n’ont pas d’enfant non plus. D’où vient la bouffe ? Mystère. Qui fait le ménage ? Remystère.

De toute manière, ce n’est pas grave, à la fin tout pète (encore ces abrutis de scien­ti­fiques) et il reste les colons de Titan qui vivent en harmo­nie avec leur environ­ne­ment en profi­tant d’un look tribal cool et de bouffe végéta­lienne sans gluten.

La conclusion

D’abord j’ai cru que j’avais atteint l’âge où on ne comprend plus les jeunes. Mais le fiston n’était pas plus enthou­siaste. En fait, je pense que c’est une BD clivante : il va y avoir des fans trans­por­tés par le graphisme (et je recon­nais que Bablet réussit quelques cases qui sont les plus belles images SF de ces dernières années), les thèmes abordés et le traite­ment des person­nages. Et d’autres comme moi qui vont trouver ces mêmes person­nages parti­cu­liè­re­ment… peu humains. Cette ambigui­té peut séduire ou agacer. Diffi­cile dans ce cas-là de conseiller ou décon­seiller. En tous les cas, j’ai quelques discus­sions chaudes qui m’attendent avec mon libraire et un bon copain qui a même inves­ti dans des planches originales.

Mise à jour – Je suis un peu embêté d’avoir été aussi négatif avec cet album en parti­cu­lier et j’ai réflé­chi à la question. Il y a bien sûr la décep­tion mais aussi le besoin d’expliquer ma frustra­tion. Si l’album avait été tiède, je n’en aurais proba­ble­ment pas parlé. Évidem­ment, j’ai un peu honte mais je me console en me disant que si Bablet conti­nue dans cette voie, je suis persua­dé qu’il va toucher un large public et qu’il sera consi­dé­ré comme un auteur impor­tant. C’est tout le mal que je lui souhaite.


  1. dans les jeux vidéos, se dit des bestioles qui réappa­raissent après avoir été tuées. 
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8 commentaires

  1. Ce que j’aime,c’est la critique,ainsi,poussée,avec réserves et soucis d’équilibre.La tronçon­neuse ne quitte­ra pas son armoire.
    L’enthou­siasme sera pour plus tard.

    • Les auteurs ont toujours du mal à lire une critique négative (ce qui prouve que l’Art ne mène par à la sagesse) et je suis sûr que Bablet pense­rait que je n’ai rien compris à ce qu’il a voulu raconter.

  2. ouaip complè­te­ment d’accord ; j’ai acheté l’album, j’ai bien regret­té. Un signe qui ne trompe pas : le perso qui demande à l’autre si l’homme est bon ou mauvais. j’ai failli lâcher à ce moment-là…

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