Dakota 1880, ou la fin de Lucky Luke vue par Appollo et Brüno

dakota 1880 appollo bruno couv
dakota 1880 appollo bruno couv

Les reprises de person­nages en BD, c’est pas trop ma tasse de thé. Pour le coup, je suis assez d’accord avec le grand Franquin qui décon­seillait forte­ment à Fournier de reprendre Spirou. C’est vraiment un concept d’éditeur : renta­bi­li­ser un succès en serrant la vis aux auteurs qui ne possèdent pas les droits des person­nages qu’ils font vivre.

Mais le monde (de la BD) étant ce qu’il est, faire une reprise c’est quand même un bon moyen de gagner un peu d’argent tout en s’amusant avec un héros de sa jeunesse. Alors il m’arrive de faire un accroc à mes principes par pure curio­si­té : qu’est-ce qu’un(e) tel(le) va faire de cet univers ultrabalisé ?

Pas de Dalton, pas de Rantanplan

Après le Lucky Luke de Blutch, voilà celui d’Appol­lo et Brüno. La collec­tion de chez Dargaud a un gros avantage sur d’autres du même type : les auteurs ont carte blanche (dans la limite du raison­nable) et proposent donc leur vision plutôt que d’essayer de refaire du Morris et/​ou Goscin­ny. Blutch avait choisi de garder un ton et une struc­ture très clin d’œil dans ses Indomp­tés, on va voir qu’Appollo et son dessi­na­teur partent à l’opposé.

Histoires courtes et idées longues

Dakota 1880 est un peu surpre­nant au premier abord puisque, si le bandeau jaune est respec­té, l’album a une taille supérieure aux albums classiques et l’illustration cite plus le cinéma western (un Lucke en haut d’un rocher, un fusil à la main) que la BD avec ses fameux fonds vides.

Le livre est consti­tué de sept histoires courtes, plus un prologue et un épilogue. Lucky Luke est le garde d’une diligence que l’on suit à travers les États-Unis. Une diligence qui va embar­quer plusieurs person­nages à chaque chapitre, l’occasion de parler de l’Histoire (des minori­tés ?) du pays et même de son futur. Comme dans les vrais albums, certains des person­nages sont histo­riques : Louis Riel ou Annie Oakley. D’autres fictifs, dont un petit garçon de couleur, Baldwin, qui va suivre Luke pas à pas.

La chevauchée immobile

Autant préve­nir le lecteur, on n’est pas là pour rigoler. Le ton des récits m’a plutôt rappe­lé les Corto Maltese de Hugo Pratt (la première notam­ment)… en moins explosif.

lucky luke acteur
Lucky Luke, mauvais acteur de sa vie

Lucky Luke est un héros un peu parti­cu­lier. Il est, par défini­tion, solitaire – ce qui n’est pas tout à fait exact puisque Jolly Jumper fait un compa­gnon assez envahis­sant. Il n’est pas acteur de sa vie, mais plutôt témoin et embar­qué dans des histoires qui ne le concernent pas direc­te­ment – et quand il est vraiment acteur, ça ne lui va vraiment pas. Dans cette version Appollo/​Brüno, il est carré­ment monoli­thique et même en arrière-plan. Si on excepte la première histoire, Luke est telle­ment pas dans l’action que le seul moment un peu agité (le concours de tir) est une histoire que l’on raconte (et donc pas une vision directe de l’action). Dans une des histoires les plus frappantes, il est complè­te­ment à l’arrêt, sous une pluie battante, atten­dant un Godot en uniforme. Cette espèce de road-movie figé m’a même inspi­ré une théorie fumeuse que je m’empresse de vous dévoiler.

Mort à Venice

Atten­tion, risque de léger divul­gâ­chage. Et si Lucky Luke n’avait pas la chance qu’on lui prête ? Si, contrai­re­ment à ce que nous raconte le narra­teur, Luke n’avait pas survé­cu ? Que le gamin, éploré, décide de conti­nuer à le faire vivre malgré tout à travers ses récits ? Ça expli­que­rait cette avancée ralen­tie, la diligence étant vu comme la barque du Styx où Lucky croise la fin du western, jusqu’à l’arrivée aux Champs Élysées dans une conclu­sion soudai­ne­ment brûlante de soleil, où Lucky retrouve ses attri­buts héroïques dans un décor minéral, en route une dernière fois vers un soleil qui ne se couche jamais.

Lucky Luke et les faussaires

Comme dans certains albums classiques de la collec­tion, les auteurs ont ajouté un dossier pour démon­trer que Luke a bien existé. Ils se basent pour cela sur les récits de Baldwin qui a écrit une biogra­phie, puis des nouvelles pour les dime novels, ces petites revues qui narraient les aventures sensa­tion­nelles de l’Ouest sauvage, dans lesquelles il remet en lumière Lucky Luke qu’il a « réelle­ment » croisé. Magazines décou­verts après la Libéra­tion par Morris puis Goscin­ny pour créer et dévelop­per le person­nage de BD. Un ajout ludique bien vu et qui rappel­le­ra aux amateurs la biogra­phie « officielle » consa­crée à Blueberry.

ATTENTION ! Risque impor­tant de divul­gâ­chage. À éviter si vous n’avez pas déjà lu le dossier de l’album.

J’ai un doute

Comme j’aime bien chica­ner, j’ai un peu tilté en lisant que Morris décou­vrait le person­nage dans un dime novel. En effet, les couver­tures repro­duites dans le dossier sont claire­ment des couver­tures de pulp (revues bon marché publiées à partir des années 1930) des années 1940 et même 1950 (encore une incohé­rence, une même histoire ne peut pas être publié dans des numéros qui ont autant d’écart de publi­ca­tion). Les dime novels avaient dispa­ru à ce moment là. Mon côté Sherlock m’a amené à contac­ter Michael Brown , un spécia­liste des pulps, qui tient le blog The Pulp Super-Fan. Il m’a confir­mé que les textes publiés dans les dime novels n’avaient pas été repris dans les pulps parce que les éditeurs des premiers n’ont pas inves­ti dans les seconds. Les histoires des pulps étaient donc des histoires origi­nales (sauf pour certains héros incon­tour­nables). Et c’est lui qui a daté les couver­tures, un grand merci.

Une idée de génie bien débile

En réflé­chis­sant à ce que j’allais écrire sur cet album, j’ai eu une illumi­na­tion : j’allais réali­ser une planche inspi­rée par une des planches de Brüno. Dessi­ner Lucky Luke et un western, ça ne pouvait être que rigolo. Et je pourrais faire la même chose avec toutes les BD chroniquées !

Bah… Lorsque je me suis mis au travail, je me suis rendu compte qu’il fallait que je détri­cote le décou­page de Brüno, sinon c’était la même chose en moins bien. Et aussi reprendre le texte parce qu’il n’y avait pas de raison que seul le dessi­na­teur soit piéti­né. Et j’ai compris que c’était du boulot bien plus compli­qué que ce que j’escomptais. Comme j’ai quand même fait quelque chose, je vous le mets ici. Mais le Rantan­plan en moi a parlé : c’est vraiment une idée idiote pour le moment, je n’ai pas le temps de faire des trucs comme ça.

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