Âme perdue (Grégory Panaccione – Shampooing) et réflexion sur les gaufres

ame-perdue-panaccion-couve

Allez, on y croit. Ce n’est pas parce que entrer dans une librai­rie BD donne vague­ment l’impres­sion de pénétrer dans un mix Luc Besson/​Envoyé Spécial que l’inven­tion, le délire, le n’importe quoi étonnant n’y a plus cours.
Shampooing, la collec­tion dirigée chez Delcourt par Lewis Trond­heim conti­nue son petit bonhomme de chemin, confor­tée par le succès de Guy Delisle et on y retrouve Grégo­ry Panac­cione, auteur italien qui sort un second album après Toby mon ami, une BD muette qui montrait un chien fou et son maître. J’avoue que j’ai longue­ment hésité à l’ache­ter mais n’ayant aucune affini­té avec la gent canine, j’ai passé mon tour.

Âme perdue est moins muet – on s’y exprime en borbo­rygme trans­lan­ga­gier – et sort de l’ordi­naire. Une espèce de petit nabot aux yeux démesu­rés (d’un point de vue logique, ses globes oculaires doivent bien remplir les 4/​5 de sa boîte crânienne, ce qui explique bien des choses) tente de survivre dans un monde angois­sant où il vient juste de tomber semble-t-il. Il croise de gros insectes avec qui il copine et au cours de ses dépla­ce­ments angois­sés et marqués par la faim, il finit par rejoindre une terre hospi­ta­lière où il est recueilli par un grand bonhomme et son chien fou. Des indices étranges font penser qu’ils viennent d’une autre ”dimen­sion” (?) et… Bon, je ne spoile pas la fin.

Panac­cione travaille pour l’ani­ma­tion et son dessin comme sa narra­tion s’en ressentent. Parti­cu­liè­re­ment dans cet album où Krââpo, le person­nage princi­pal, est scruté dans ses moindres mouve­ments, notam­ment dans la première partie, et l’auteur a décidé de travailler au gaufrier et en couleurs directes. Je ne suis pas complè­te­ment convain­cu par ces choix surtout que des couleurs sombres (directes ou retra­vaillées à l’ordi) rendent quelque fois diffi­cile la compré­hen­sion de détails visuels (c’est un petit format sur quatre bandes). Ce qui nous permet de passer à une vague réflexion sur le gaufrier, hop, suivez moi.

panaccione-ame-perdue-pl1-site
tiens, il ne lui renifle pas le derrière…

Les gaufres, ce n’est pas toujours très léger

Un gaufrier, c’est un décou­page de planche compo­sé de cases toutes de mêmes dimen­sions – on peut aller jusqu’au carré. Il a été très utili­sé dans les protoBD (genre Bécas­sine) et Franquin trouve le système – à juste titre – très contrai­gnant. À remar­quer que l’école franco belge conti­nue à utili­ser un système de bandes horizon­tales de hauteur constante alors que les impéra­tifs d’édi­tion ne sont plus d’actua­li­té (la hauteur constante est un héritage de la publi­ca­tion au format une bande dans les quoti­diens – cf. le travail de Pratt).

franquin-radar-robotsite
Franquin – tout le monde dans la case pour éviter les ambiguïtés

En France, les années 60 et Pilote voient débar­quer de jeunes Turcs qui éclatent la narra­tion. Giraud et à sa suite Hermann vont imposer un décou­page consi­dé­ré comme plus ”cinéma­to­gra­phique” – ce qui est une vaste rigolade puisque le cinéma c’est un gigan­tesque gaufrier si on y regarde bien – qui va aller jusqu’au délire de Druillet.
En un énième retour de balan­cier, la généra­tion Associa­tion va remettre au goût du jour le gaufrier, en consi­dé­rant que le décou­page éclaté des planches n’a rien à voir avec la BD ”origi­nale” et que ce n’est que poudre au yeux. Ce qui n’est pas tout à fait faux – on pourrait compa­rer ça avec les nouvelles narra­tions du cinéma d’action qui cherche surtout à en mettre plein la vue plus qu’à racon­ter une histoire. Mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce ”retour en arrière” qui frise le conser­va­tisme et la guerre de chapelles plus qu’un réel progrès. Le gaufrier est devenu aussi une forme recon­nais­sable – comme le cinéma en noir et blanc et muet par exemple – pour un certain public (et donc une forme de snobisme).

Mais revenons à Âme perdue. Dans le cas de Panac­cione, le gaufrier est pour le coup cinéma­to­gra­phique puisque le cadrage est bien plus dynamique que ce que l’on croise d’habi­tude avec même un côté Sergeo Leone dans la recherche de gros plans et le ralen­tis­se­ment de l’action. Mais c’est à double tranchant : la BD ne peut pas faire de plans en mouve­ment dans une case. Il faut donc à chaque fois bien préci­ser qui est qui, qui est où et qui fait quoi. Dans un gaufrier aussi limité que celui utili­sé par Panac­cione, les plans larges deviennent diffi­cile à scruter (essayez de retrou­ver la raquette de tennis lors de sa première appari­tion) et les jeux de regards sont quelque fois incom­pré­hen­sibles – ou du moins se sont compré­hen­sibles qu’après coup, ce qui n’est pas bon signe.

Saurez-vous deviner ce qu'il regarde et la taille relative des insectes ?
Saurez-vous deviner ce qu’il regarde et la taille relative des insectes ?

Méta univers ?

Que ces réflexion ne vous privent pas de la curio­si­té de jeter un œil sur cet album qui réuti­lise d’ailleurs les deux person­nages du premier album – le grand type et le chien – dans une espèce de méta univers intri­gant. Malgré un prix qui m’a fait faire ”ouf”.

Partagez ce contenu

Ne ratez plus rien en vous abonnant

Soyez prévenu par mail des nouvelles publications et suivez mon actualité avec la newsletter

!ABC Pour signaler une erreur ou une faute de français, veuillez sélectionner le texte en question et cliquer sur l’icône R en bas à gauche.

fille boutique fond
fille boutique seule300b

Visit my shop

Illustrations, livres, ex-libris, planches en vente sur ma boutique.

8 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise des cookies pour vous offrir la meilleure expérience possible.