Théodore Poussin t.1 Capitaine Steene (Frank Legall – Dupuis)

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Je n’étais pas à Angou­gou ce week end mais en dédicace chez Bédéra­ma, la librai­rie qu’il vous faut. Ce qui m’a permis de décou­vrir moultes choses publiées récem­ment mais que les porteurs refusent d’ache­mi­ner jusqu’à Orléans, terre radio­ac­tive peuplée de zombies effrayants. J’ai donc feuille­té une longue inter­view de Frank Le Gall publiée dans une belle revue que j’avais entre­vue – L’Indis­pen­sable. J’y ai chopé une phrase (de mémoire) où Le Gall exprime son impres­sion de faire partie d’une ”généra­tion sacri­fiée” avec des gens comme Hislaire, Mitchez, Yann et Conrad et d’autres, ce qui m’a donné à réflé­chir. Il se plaignait que les grands médias ne se soient pas intéres­sés à sa généra­tion, se focali­sant encore à l’époque sur les Grands Anciens (genre Franquin puis Tardi ou Bilal) avant de sauter direc­te­ment à la généra­tion Sfar ou Blain et même chose pour les Grands Prix d’Angou­lême (félici­ta­tions à Jean-Claude Denis tant que j’y suis).

Quelque part, il n’a pas tout à fait tort : cette généra­tion des années 80 à fait un drôle de parcours (on pourrait citer aussi des Loisel, Vicomte, Makyo ou Chaland…), obtenant un bon succès public en propo­sant aux petits lecteurs qui grandis­saient une BD plus adulte tout en restant dans un certain classi­cisme mais n’appor­tant pas vraiment l’aspect révolu­tion­naire de la généra­tion Moebius/​Gotlib. Mais on peut aussi ricaner bêtement en se disant que cette généra­tion a profi­té des magazines, d’une politique édito­riale plus ouverte et d’un marché plus simple et que son échec a peut-être d’autres causes que juste le ”pas de chance”. C’est un débat intéres­sant à creuser…

Quoiqu’il en soit, en 1984 parait dans le beau journal Spirou la première aventure de Théodore Poussin, employé dans une compa­gnie maritime, qui rêve d’aven­tures à la suite de son oncle, le capitaine Steene. Obtenant enfin une place sur un bateau, il part pour l’Extrême Orient et découvre rapide­ment que Steene est devenu un person­nage légen­daire. J’avais décou­vert cette nouvelle série avec juste une vague curio­si­té : je n’avais pas trop appré­cié la précé­dente série de Le Gall, Valry Bonpain, sur un scéna­rio d’Alain Clément, que je trouvais trop écrite et un peu artifi­cielle avec son atmosphère jazz (bref, ça me passait au dessus de la tête). La première partie est tirée direc­te­ment du journal du grand père de Le Gall et une seconde partie raconte la recherche de Steene par Poussin, en pleine guerre civile chinoise. Jusqu’à la planche 27 et sa case 7 où dans les phares d’une vieille voiture apparaissent deux servi­teurs chinois sous la pluie. Cette image m’a beaucoup impres­sion­né et donné envie d’en lire plus à l’époque…

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À la relec­ture, j’ai retrou­vé les choses qui m’avaient agacé à l’époque et que je ne digère toujours pas : le person­nage de Novembre, mysté­rieux indivi­du qui se présente plus ou moins comme le destin de Poussin. Doué d’immor­ta­li­té, d’ubi­qui­té et de tout ce que vous voulez, c’est le Diable en personne, manipu­lant ce pauvre Poussin. Évidem­ment, c’était le premier grand scéna­rio de Le Gall et on peut facile­ment lui pardon­ner – du moins si, comme moi, on n’aime pas Novembre – mais on retrou­ve­ra malheu­reu­se­ment le person­nage d’albums en albums, un peu trop décalé à mon avis et phago­cy­tant ce pauvre Poussin. On pense évidem­ment aussi à Corto Maltese en Sibérie, modèle de l’aven­ture exotique et, avec les nombreuses citations litté­raires, on ne peut pas nier la filia­tion. Autre point qui me gène plus aujourd’­hui, la vision très eurocen­trée du décor : les Chinois sont de simples figurants qui s’agitent sans réali­té autour de Poussin et les modifi­ca­tions de nombreux noms propres réels sont agaçantes. Évidem­ment, ça tient à la vision du projet qui mêle l’uni­vers de Joseph Conrad, Corto Maltese et toute une litté­ra­ture et cinéma des années 20/​30, mais j’ai l’impres­sion que ce point de vue démode un peu ce Capitaine Steene.
Finale­ment, c’est la première partie qui a gardé le plus de charme et d’inté­rêt : en travaillant sur les souve­nirs de son grand-père, Le Gall était en avance sur son temps et préfi­gure toute une BD actuelle qui se base sur une vision documen­taire pour créer du roman­cé. Les person­nages féminins et les amis de Poussin à Dunkerque semblent bien plus vivants que les figures roman­tiques et splee­nées de l’Extrême Orient.
Théodore Poussin va trouver son public et le person­nage va poursuivre un parcours assez atypique – les scéna­rios refusent l’aven­ture facile. J’ignore pourquoi Le Gall a arrêté de dessi­ner Poussin.

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23 commentaires

  1. Même une série impar­faite peut avoir beaucoup de charme, et Théodore Poussin n’en manque pas… ceci dit, la série a pris plusieurs virages et a changé de ton au fil du temps, plus qu’il n’est habituel pour une série : ce qui est peut-être un indice suggé­rant que Le Gall avait, en fait, avant même d’arrê­ter la série, envie de faire autre chose.

    • @Tororo : oui, j’ima­gine qu’il avait envie de passer à autre chose. Mais curieu­se­ment, on ne peut pas trop deviner ce qu’était ce ”autre chose” parce que les Barbu­tins sont très gentils mais, bon… Il faudra d’ailleurs que je relise ses albums chez Poisson Pilote.

  2. Juste pour signa­ler que Dupuis ressort la série en intégrale ( 2 tomes déjà ).
    Sinon, moi, de Théodore Poussin je n’ai lu que ”La vallée des roses”, qui n’est sûrement pas l’album le plus typique de la série, mais qui m’avait beaucoup touché par son travail sur les ambiances et les paysages, notam­ment. Plus tard j’avais vu que Le Gall était revenu à un style plus classique, avec mise en couleur infor­ma­tique et person­nages à grosse tête, bref je ne sais pas trop par où prendre cette série.

  3. Cette couverture,elle m’a longtemps fait revasser…Une idée de la perfection.Dés le deuxième tome,la série s’épaissit,garde tout son charme mais évacue déjà ses faiblesses.Indispensable.Génération sacrifiée,assurément.Rares sont des auteurs qui avouent une légitime amertume de ne jamais s’etre senti soutenu(Frank Pé illus­trait ce propos en expli­quant-Je résume-qu’il est chez Dupuis depuis 35 ans et qu’au­cun lien ne s’est vérita­ble­ment tissé.Guère épaulé,entendu(écouté),ou engagé réelle­ment dans un projet…Se sentir appar­te­nir à…Mais c’est peut etre parce­qu’ils sont cette généra­tion presse,Spirou où cela semblait se prati­quer pour les ainés..?
    Un Lambil exprime les m^mes ressentis,cependant…Michetz est un autre exemple d’auteur complé­te­ment négli­gé ou méprisé…
    Le dernier Poussin ”Les jalou­sies” est merveilleux;il semble que la route se soit arreté là…

    • @julien : j’ai l’impres­sion que c’est un trait commun à tous les auteurs qui ne sont pas ”meilleurs vendeurs” dans leur maison d’édi­tion, ce qui doit repré­sen­ter 80 % de la profes­sion :-) J’ima­gine que c’est diffé­rent pour des cas parti­cu­liers. Mais ça me rappelle Dionnet pestant parce que les auteurs Humanos lui deman­daient de plus s’inves­tir dans la boîte. Finale­ment, le futur d’un auteur ne passe pas par sa maison d’édi­tion… Du moins s’il ne veut pas trop souffrir. Je me demande comment ça se passe dans la littérature ?

  4. Pire je crois!Un Galli­mard par exemple devait en plus gérer jalousies,amertumes de quelques starlettes comme Simenon,Aymé…Au concours du plus cabot.
    Et dans la bd,Macherot(Wasterlain aussi) digérait mal le ”démocra­tique” réferen­dum en plus d’un éditeur sceptique.Ah,la vie​.La vie c’est comme un ouragan.

  5. Je m’amuse de temps en temps à compa­rer les deux premiers épisodes avec ”Aventure en jaune” : il n’y a pas que Joseph qui a influen­cé Le Gall ! Ce n’est d’ailleurs certai­ne­ment pas un hasard si Yann vient d’ailleurs donner un coup de main sur ”Marie Vérité” (un de ses plus beaux scéna­rios pour moi). J’étais (je suis toujours) fan absolu, évidemment.
    Pratt ne me gênait pas : je ne l’avais pas encore lu, même pas dans Pif gadget !

    • @julien : Pour le coup, il aurait été ”en avance sur Conrad” ?
      Moi, je trouvais que son style sur Yoyo était influen­cé par Yann, qui comme on le sait dessine ses scéna­rii. A l’époque, mon libraire préfé­ré m’avait genti­ment renvoyé dans mes 22 mètres en me rappe­lant que Le Gall n’avait pas besoin de Yann pour savoir dessi­ner. Comme quoi, déjà à l’époque, je passais pour un con !

  6. Le Morris illustrateur,sans son cow-boy solitaire.Si.Un peu.On voit ça dans un chouette bouquin vain:La face cachée de Morris d’Yvan Delporte…Je dis pas que j’ai raison,hein…Et ma vue diminue.

  7. Tu parles du manque de recon­nais­sance des médias, mais le pire à mon sens, c’est le manque de recon­nais­sance de leurs pairs, de ceux qui pissent sur la BD des années 80, qui préten­daient ”reprendre la BD là où Goscin­ny et Charlier l’avait laissée”. Ça, c’est dur.

  8. Frank Le Gall à répon­du récem­ment sur inter­net à ceux qui annon­çaient que la série ” Théodore poussin était termi­née”. En réali­té il n’en est rien. Il a annon­cé être en train d’ache­ver un album chez Futuro­po­lis qui devrait s’appe­ler ”Mary Jane” avant de s’atta­quer au 13e volume de sa série fétiche.

    • En même temps, je ne sais pas s’il a vraiment le choix. Intéres­sant que ça passe chez Futuro­po­lis.

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