Cela fait quelques années que je suis le parcours d’Erwann Surcouf, particulièrement sur les réseaux sociaux où il multiplie les expériences et les défis graphiques. Ses albums personnels sont décalés, ironiques, mais j’ai toujours hésité à sauter le pas.
Jeunes et pas si jolis
Et puis j’ai découvert un peu tardivement qu’il avait réalisé une trilogie post-apocalyptique et ça m’a intrigué – le dernier tome est paru en 2023. Enfin, je pense que je l’avais déjà croisée et j’ai cru que c’était une série jeunesse, ce qui n’est pas vraiment le cas même si les protagonistes sont des adolescents.
Le Club des Cinq contre la créature à mandibules
Donald, Jinping et Vladimir ont fini par réussir leur coup et il ne reste plus que des ruines sur Terre. Des ruines dans lesquelles survivent des communautés humaines plus ou moins mutantes qui interprètent les débris des Temps Anciens avec plus ou moins de bonheur. Et qui luttent contre une faune devenue monstrueuse, particulièrement dangereuse.
Heureusement, il y a les Sauroctones. Ces chasseurs de monstres intrépides (les chasseurs, pas les monstres), à la vie sauvage et aventureuse, ont même droit à leur petit fascicule dessiné narrant leurs combats fabuleux. Pas étonnant que trois ados du village décident de guider le fameux Sauroctone Axel Excel à la recherche du terrible Tamarro. Ça va être une boucherie. Et malheureusement pas dans le sens attendu.
Les survivants, Zone la guerrière intrépide et Urtzi l’archer limité en flèches, vont croiser le chemin de Jàn au pouvoir de draguer qui elle/il veut.
Les héros sans beurre et sans reproche
Surcouf réussit une chose rare : raconter une aventure au long cours, pleine de péripéties, de personnages étonnants pas du tout manichéens, de créatures effrayantes et de lieux inhospitaliers, tout en jouant la carte de l’ironie et du second degré. Il truffe les dialogues de clins œil à la culture populaire, de la chanson de variété des années 1970 aux jeux de cartes des récréations. L’univers qu’il a créé lui permet des facéties absurdes : les héros croisent des bâtiments, des pancartes, des artefacts du monde que nous connaissons et en font une interprétation fantasmée, voire magique. Je retiendrai le jeu de cartes très populaire qui semble mélanger aussi bien des cartes Pokémon que des cartes Cluedo avec des règles complètement délirantes qui s’inspirent du peu de texte déchiffrable des règles de jeu. Ça m’a fait beaucoup rire parce que, lorsque j’étais prof en collège, j’ai vu des élèves jouer avec des cartes Pokémon. J’étais assez surpris puisque j’avais tenté l’expérience avec le fiston et ça semblait juste impossible – la faute à une traduction complètement aléatoire, la traductrice française ignorant qu’elle travaillait sur un jeu de cartes. En fait, comme dans la BD, les gamins inventaient des règles à partir des textes.
Une grande partie du plaisir tient au fait que le trio n’a rien d’héroïque. Ils réalisent des exploits par nécessité, sous la contrainte ou par coup de chance. Et ils n’ont rien d’angélique lorsque leur survie est en jeu. Après le premier tome, que j’ai adoré, je me suis demandé comment l’auteur allait tenir la distance et je n’ai pas été déçu. Surcouf réussit à diversifier les aventures et joue sur différents types de narration pour varier les plaisirs.
Trois tomes pour les réunir
Le dessin, l’origine de mes anciennes hésitations, est assez étonnant. Il est plutôt simple – ce qui permet un récit au long cours sans faiblesse – sans être pauvre. Surcouf est très fort pour synthétiser des formes, joue avec des codes graphiques, n’hésite pas à se lancer dans des scènes épiques ou des décors chargés et il faut dire un mot de la couleur. En n’utilisant qu’un maximum de trois couleurs par page, il pose des atmosphères variées et prenantes tout en économisant ses forces. Je regrette juste que certaines couleurs sombres gênent un poil la lecture de certaines cases (dans les scènes nocturnes) lorsque vous êtes au fond de votre lit avec un éclairage moyen.
La perfection n’est pas de ce monde
Puisque j’ai ouvert la porte aux regrets, il y a quand même quelques points qui m’empêchent de hurler « chef-d’œuvre » la bave aux lèvres en me roulant par terre. Je ne peux pas m’empêcher de penser qu’avec un poil plus de franco-belge là-dedans, on obtiendrait visuellement des personnages plus marquants et attachants. Et j’ai été un peu frustré par l’histoire. Sa structure est clairement feuilletonesque, composée de chapitres introduits par la couverture d’un fascicule de BD. Surcouf a visiblement travaillé ça comme une série télé avec des objectifs à long terme pour pousser l’histoire. Mais ça n’apporte pas une vraie tension, il manque un méchant qui pousse tout ça (la Confrérie des Meuniers faisait tout à fait l’affaire, mais elle reste un peu en périphérie de l’histoire) et peut-être un poil de mélo premier degré pour nous faire pleurer.
Je ne sais pas à quoi ressemblait le projet au départ, mais j’aurais adoré lire ça en feuilletons avec de vrais fascicules. Les « défauts » évoqués ci-dessus (qui sont plus des affaires de goût personnel) auraient été largement gommés.
Il y a un truc assez extraordinaire avec cette BD. Je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’elle serait parfaite pour être utilisée par d’autres dessinateurs. Je verrai bien un chapitre dessiné par Moebius, un par Corben, un autre par Tardi. Un graphisme différent apporterait une interprétation différente. C’est la première fois qu’une BD me donne cette sensation.
J’aurais bien refait une couverture puisque Surcouf s’amuse à reprendre les couvertures des albums de ses collègues, mais les originales sont tellement bien designées que je risquais la honte. Plus qu’à espérer la série sur Prime (pas Netflix, je ne suis pas abonné).
J’étais jamais tombé dessus, j’en avais jamais entendu parler, mais ça a l’air d’être tout à fait mon truc ! Merci blog de Li-An !
Le blog des connoisseurs.