Un regard s’éteint

Lorsque l’on s’intéresse à l’image un peu décalée, aux ”mauvais genres”, on finis­sait par mettre les pieds à Un regard moderne, une minus­cule librai­rie sise rue Gît-le-Cœur à Paris (6ème). Enfin, si on était coura­geux. J’ai connu la librai­rie avant le boom Inter­net et je bavais devant des bouquins, des revues impro­bables en prove­nance du monde entier – à des tarifs imports qui donnaient froid dans le dos. Il y avait de l’érotisme, du sexe, des robots, des monstres, des choses graphiques, des photos, des trucs impensables.
Mais j’avais fini par ne plus faire le détour lors de mes périples parisiens. C’était juste impos­sible de circu­ler dans la boutique. Si il y avait déjà deux visiteurs, ça tournait au gag. ”Pardon, excusez-moi, oups, c’est mon sac à dos, flûte c’est votre nez”. Et ma curio­si­té insatiable se heurtait à un obstacle impor­tant : comment oser deman­der d’extirper un livre d’une pile de trois mètres de haut juste pour le feuilleter ?

J’étais impres­sion­né par le libraire qui me semblait une espèce de sphinx qui connais­sait l’emplacement exact de chacun de ses ouvrages et, d’autant plus impres­sion­né, que j’avais le senti­ment d’être un intrus avec mes goûts franco-belges. Les visiteurs croisés semblaient des initiés un peu snobs qui planaient sur des hauteurs étranges. Je n’ai jamais su le nom de ce libraire hors-norme. Il s’appelait Jacques Noël et il est décédé dans la nuit du 30 septembre au 1 octobre 2016. J’ignore s’il tenait toujours la librai­rie, s’il y a des repre­neurs. Mais je regrette de ne pas l’avoir plus remer­cié pour son travail. Dans mon innocence de provincial/​voyageur, je trouvais normal qu’il existe un tel lieu à Paris, sans prendre conscience de son carac­tère exceptionnel.

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10 commentaires

  1. J’ai connu de tels ”repaires” pour fouineurs sur Lille et Dunkerque. J’ignore s’ils existent toujours, mais pareil, on ne se croisait pas dans les allées. Mainte­nant j’en connais un autre, moins grand moins fourni, à Granville. C’est bien que de tels lieux existent, pour que l’on vienne s’y perdre, loin des boutiques top-modernes aux bouquins nickels, que neufs…
    Bel hommage.

    • On en avait un dans le genre sur Orléans mais il a perdu de son charme. Dans le cas du Regard, Paris oblige, la beauté était qu’on était en plein genre. Il n’y avait rien de ”mains­tream”.

  2. Quelques autres repaires s’éteignent à Montréal,là,ailleurs.Mais ça résiste aussi;joli et tendre hommage à un noble métier;on pourrait imagi­ner les témoi­gnages nombreux pas de clients:de prome­neurs joliment égarés.

    • Tu es de Montréal, Julien ? Ce qui expli­que­rait comment il se ferait que je ne t’ai jamais encore croisé.

      Pour le Regard Moderne, il était un peu diffi­cile de s’y égarer vu la diffi­cul­té à y entrer :-)

      • (A Montréal,moitié-moitié.)Dionnet a souvent parlé du libraire Jean Boullet;autre petit temple.On doit proba­ble­ment tous avoir ici une ”expérience” similaire..?Chercher du B.D. f ranco-belge et ressor­tir avec un auteur incon­nu complet.

        • Ça m’est arrivé mais les restric­tions budgé­taires m’ont obligé à ne plus inves­tir en aveugle. Et avec le temps, c’est devenu plus rare les décou­vertes improbables.

  3. Oui, le problème c’est que c’était impos­sible de farfouiller, il fallait savoir ce qu’on venait chercher… Le problème du manque de place à Paris… La fin d’une époque ???

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