The Assassin, ou comment s’ennuyer avec un immense plaisir

The Assassin, un film de Hou Hsiao-Hsien

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The Assas­sin est un film qui ne va pas faire l’una­ni­mi­té et je dois avouer que je m’y suis ennuyé. Mais pas l’ennui ”Qu’est-ce que je fais ici ? C’est vraiment trop nul”, plutôt un ennui ”C’est beau. C’est chiant. Mais qu’est-ce que c’est beau”. Et à la fin, ”C’est beau” a gagné par KO parce que les ultimes secondes m’ont brusque­ment ouvert les yeux sur un parti pris narra­tif pour le moins hors norme.

Yinniang (Shu Qi) a été formée pour devenir assas­sin par la nonne ex-princesse Jiaxin. Après l’échec d’une mission – elle ne peut pas tuer un père devant son fils – elle est envoyée dans sa ville de naissance Weibo tuer le nouveau gouver­neur Tian Ji’an (Chang Chen) qui résiste à l’influence de l’Empe­reur. Mais Tian Ji’an est aussi l’homme auquel Yinniang était promise dans sa jeunesse.

Dans les films chinois à carac­tère histo­rique, on se perd souvent facile­ment dans des conflits politiques obscurs où il est diffi­cile de comprendre qui est vraiment le gentil ou le méchant. Ce n’est pas Robin des Bois contre le Shériff de Notthin­gham mais plutôt le Général Félon contre l’Empe­reur sauf que l’Empe­reur est un tyran sauf que sa fille est pure et le Général la convoite et sauf que… bref, une salade chinoise compli­quée par le fait que les costumes magni­fiques changent conti­nuel­le­ment et que nos esprits occiden­taux se perdent même dans les acteurs – pour tout dire, Jacques Morice de Téléra­ma est persua­dé que Yinniang lutte contre l’Empereur.
Dans The Assas­sin, c’est encore pire. Hou Hsiao-Hsien, metteur en scène taïwa­nais, a décidé que toutes ces consi­dé­ra­tions politiques alour­di­raient son film et se contente de placer en arrière plan voire de sous-entendre les conflits d’inté­rêts et les motiva­tions de ses personnages.

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Shui Qi joue donc une espèce de tueuse impla­cable et fanto­ma­tique exclue d’une socié­té qu’elle contemple à l’écart. Elle est l’héri­tière d’une histoire qui commence avec la généra­tion précé­dente – la Princesse Jiacheng a quitté la cour impériale pour épouser le gouver­neur de Weibo de l’époque et avait program­mé le mariage de Yinniang et Tian Ji’an avant que des raisons politiques ne modifie la donne. La Princesse a donc trahi Yinniang, la condam­nant à l’exil dans le monas­tère. Yinniang se situe donc litté­ra­le­ment hors de l’His­toire mais joue le rôle de révéla­teur, dévoi­lant son identi­té d’assas­sin à sa victime program­mée, proté­geant les intérêts de l’homme qu’elle a aimé, mettant au grand jour les complots et les ambitions. Mais avec une froideur distante qui n’est pas sans rappe­ler Le Samou­raï de Melville. C’est litté­ra­le­ment une femme sans passé ni avenir ni émotion – elle pleure une fois, elle sourit une fois et il faut le deviner – qui va se recons­truire en décidant de son destin. Ça c’est le fond. Parce que la vraie raison de voir le film c’est sa forme.

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Les scènes s’étirent, les bruits de l’exté­rieur envahissent l’écran – chants d’oiseaux, gongs lointains, vent dans les branches – les person­nages se figent et retiennent leur texte. Les plans soulignent des détails qui ne prendront sens que plus tard. Des person­nages impor­tants sont à peine effleu­rés, les choix des prota­go­nistes ne sont jamais commen­tés. C’est un cinéma de l’épure, de l’esquisse géniale où on devine la struc­ture sans avoir les détails mais c’est suffi­sant pour y trouver une beauté pleine de promesse.
C’est un cinéma de genre complè­te­ment tordu et évidé qui aurait sûrement intéres­sé Sergio Leone. Il y a des combats fulgu­rants et quelque fois hors champ. Yinniang affronte une femme masquée – qui est-elle ? Dans un plan éloigné, au milieu des arbres, les deux femmes s’écartent et cessent le combat. Le masque est tombé, brisé par terre. Qui était-elle ? Seule Yinniang le sait et c’est suffi­sant – les dernières scènes lèveront le mystère pour celui qui aura compris.
Autant l’avouer, ces choix radicaux perdent encore plus le specta­teur français du fait de la diffi­cul­té à recon­naître du premier coup d’œil les person­nages. J’ai confon­du la mère de Yinniang et la Princesse, j’ai décou­vert embar­ras­sé qu’il y avait la femme du Gouver­neur et la concu­bine, je n’étais pas sûr de diffé­ren­cier le Comman­dant et le polis­seur de miroir – oui, il y a un polis­seur de miroir. Mais la beauté des images, l’impla­cable mise en scène emporte le tout et je suis sorti ébahi de comprendre qu’il y avait même eu une histoire d’amour qui s’est concré­ti­sée par un homme marchant dans une lande rousse dans les pas d’une femme.

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Ce n’est pas un film pour amateur de kung-fu, c’est un film pour cinéphiles curieux et exigeants qui senti­ront passer chaque seconde et chaque minute mais qui m’a inter­pel­lé. ”On peut donc racon­ter une histoire comme cela ?”. Un senti­ment très rare.

La bande annonce est évidem­ment trompeuse…

THE ASSASSIN Official Trailer (2015) – Hou Hsiao-hsien Movie [HD]
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2 commentaires

  1. Tiens, ça pourrait m’inté­res­ser, un trip esthé­tique dans lequel l’intrigue n’a que peu d’impor­tance, c’est sympa de temps en temps.^^

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