Grand Budapest Hôtel – un film de Wes Anderson – et autres considérations

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Ces derniers mois auront vu la sortie de films US du dernier Scorsese, frères Coen, Jarmusch et, donc, Wes Ander­son. Soit des metteurs en scène qui me font consi­dé­rer que je ne vis pas une période si moche que ça – décou­vrir en salle un nouveau film génial est une satis­fac­tion de tout âge et quasi de toute condition.
Sauf que je suis resté sur ma faim dans beaucoup de cas cette année.

Le loup de Wall Street : un film où l’on peut citer des scènes qui vont rester dans la mémoire cinéphi­lique et même du grand public – qu’à-t-on le droit de faire avec un nain, l’usage de la mastur­ba­tion chez les traders, la drogue c’est mal – malgré une actrice incon­sis­tante et une cible un peu trop facile. Di Caprio encore une fois au top.

Inside Llewyn Davis : un Coen assez dérou­tant, très déséqui­li­bré avec une longue séquence de descente aux Enfers (un voyage à Chica­go) qui ne ressemble pas au reste du film. Mais j’ai entendu/​lu une expli­ca­tion de texte assez épatante qui montrait que les deux séquences où le pauvre Davis se fait casser la figure par un mysté­rieux type n’est pas un encadre­ment de flash-back mais deux scènes distinctes. Et évidem­ment, plein de Ulysse dedans, une obses­sion Coenienne.

Only Lovers Left Alive : Jarmusch avait fait son western, il aura réussi à faire son film de vampires. Un film assez mineur de sa part – il se ne passe vraiment pas grand chose – avec de belles scènes et une grande Tilda Swinton mais l’ensemble est un peu trop symbo­lique pour être vraiment satisfaisant.
Dévelop­pons un peu : les vampires sont parmi nous depuis des siècles et des siècles mais se comportent de manière civili­sée globa­le­ment (ils récupèrent du sang dans les hôpitaux pour se nourrir). Adam (Tom Hiddles­ton), musicien planqué à Détroit, commence à être fatigué de la vie et sa chérie Eve (Swinton) vient le rejoindre pour lui remon­ter le moral. Évidem­ment, Adam repré­sente la musique (Détroit est connu pour sa richesse musicale : Motown, Stooges…), Eve la litté­ra­ture (elle habite Tanger) et sa soeur Éva le cinéma holly­woo­dien (elle habite Los Angeles et c’est une irres­pon­sable insup­por­table). Pour Jarmusch, la litté­ra­ture et la musique vont plutôt mal mais rien de tel que l’Amour et la Jeunesse pour leur redon­ner vie. Une excel­lente bande son de Jozef van Wissem & SQÜRL.

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Pour ces trois films, ma chérie est sortie pas tout à fait convain­cue et il ne restait plus que Wes Ander­son pour sauver la saison. Heureu­se­ment Grand Budapest Hôtel ne déçoit pas.
Encore plus riche visuel­le­ment que les précé­dents opus, il narre dans un triple récit imbri­qué (un roman­cier raconte une histoire qu’on lui a racon­té dans sa jeunesse) la rencontre entre Zéro, jeune immigré au pays imagi­naire de Zubrow­ka engagé comme lobby boy au Grand Budapest Hôtel de l’entre-deux-guerres et M.Gustave, le concierge légen­daire de ce palace, toujours trop parfu­mé et empres­sé de satis­faire les moindres désirs de sa riche clien­tèle, notam­ment des femmes blondes riches d’âge mûr. Mais voilà qu’une de ses clientes les plus fidèles, la comtesse Céline Ville­neuve Desgoffe und Taxis (de nouveau Tilda Swinton mécon­nais­sable, elle aura été de tous les bons coups ces derniers temps) casse sa pipe et lui lègue le fameux tableau Le garçon à la pomme – zut, je ne retrouve plus le ”peintre” – au grand dam des héritiers qui sont en train de tourner fachos.

auteur ?
auteur ?

Plus encore – si c’était possible – que dans ses films précé­dents, Ander­son joue merveilleu­se­ment des décors, réinven­tant une esthé­tique subtile (chaque plan mérite­rait un arrêt sur image pour trouver des petits détails soigneu­se­ment dispo­sés) pleine de joyeuses références et d’inven­tions pour le plaisir (les clefs des hôtels, la table du tueur, une pâtis­se­rie…). Pour ne pas changer, le thème tourne autour de la pater­ni­té – M.Gustave est un père pour les jeunes garçons en plus d’être un amant pour leur mère – et Ralph Fiennes fait des merveilles passant d’un langage fleuri à des pointes de grossiè­re­té inatten­dues, dernier rempart d’une culture un peu guindée face au fascisme qui monte (une pointe politique nouvelle chez Ander­son). Un merveilleux film qu’il faut voir plusieurs fois pour l’épui­ser visuel­le­ment, d’un casting de haute volée – Ander­son a dû réussir à caser tous ses acteurs habituels plus des nouveaux. À noter pour les amateurs de peintre : un faux Schiele sapho-érotique et, par terre en passant, un faux Klimt.

Si on me demande mon avis, je serai assez pour que l’on pende par les couilles Peter Jackson et que l’argent inves­ti dans Bubon le U‑Boot aille direc­te­ment finan­cer les prochains Anderson.

Comme d’habi­tude, évitez de regar­der la bande annonce si vous désirez voir le film.

THE GRAND BUDAPEST HOTEL – Official Wolrd­wide Trailer HD

Google rend aujourd’­hui hommage à Gaston. Oui, celui de Franquin.

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15 commentaires

  1. ”Mais j’ai entendu/​lu une expli­ca­tion de texte assez épatante qui montrait que les deux séquences où le pauvre Davis se fait casser la figure par un mysté­rieux type n’est pas un encadre­ment de flash-back mais deux scènes distinctes. ”

    Alors moi aussi j’étais parti sur cette inter­pré­ta­tion avec 2 scènes distinctes, un coup à la Sisyphe, etc. et puis on m’a dit que non, qu’on revenait au début après un flash­back. Du coup j’étais fort marri. Ton message me redonne espoir dans mes maigres capaci­tés intel­lec­tuelles (même si je suis pas du tout sûr d’avoir raison, sur ce coup – de toute façon les deux inter­pré­ta­tions aboutissent plus ou moins à la même signi­fi­ca­tion globale).

    Bien aimé le Jarmusch sans être complè­te­ment conquis pour autant. L’ambiance envoû­tante, la beauté de la photo et les acteurs parfaits emportent le morceau mais l’his­toire piétine un peu.

    Pas encore vu le Anderson.

    • Il faudrait que je retrouve ce texte sur Inside Llewyn Davis : il souli­gnait le fait que l’on n’entende pas chanter Bob dans la première version et qu’on l’entende dans la seconde.

      Pour le Jarmush, les person­nages sont trop symbo­liques pour porter vraiment une histoire.

      T’en as de la chance : tu vas décou­vrir le Ander­son. Ma famille me bassine pour qu’on change la télé – je suis encore avec un écran catho­dique – et je me dis que revoir les Ander­son sur grand écran en Blue Ray pourrait faire pencher la balance…

      • Vu le Wes Ander­son hier.

        J’ai eu un peu de mal à entrer dedans. La profu­sion de l’ensemble m’a un peu paumé par moments. Ceci dit le film est très touchant et tu as raison, il y a une dimen­sion politique indéniable dans le fond et la forme. Valori­ser le fantai­sie et la folie douce comme valeurs inalié­nables face à la barba­rie, c’est très beau et mine de rien c’est une note d’inten­tion majeure dans la carrière du réalisateur.

        • Le début est un peu pertur­bant avec beaucoup d’infor­ma­tions, on a peur de louper des choses, mais à partir du moment où on attaque le récit princi­pal, ça fonctionne de manière bien plus fluide.

  2. Rushmore était dans la lignée de ses autres films drôle, absurde, et très esthé­tique, mais on dirait qu’avec le temps il a un peu mis de côté l’absur­di­té des premiers films. Là où on ne savait pas trop comment prendre certaines scènes de La vie aquatique (pas forcé­ment drôle au premier degré) ou de Rushmore, ses derniers films semblent plus fluides.

    En tout cas, vu hier ce Grand Hotel Budapest et wow, quelle maîtrise ! Pas de temps mort, des détails incroyables, une musique au poil, rien à redire. Juste envie de le revoir. Le casting est aussi très bon.

    • C’est sûr que l’on recon­naît les grands metteurs en scène aujourd’­hui à la séduc­tion qu’ils exercent sur de grands acteurs – cf. Woody Allen.

      Pour le meilleur ou le pire, Ander­son abandonne peu à peu l’intel­lec­tua­lisme de ces premiers films pour des choses plus concrètes.

  3. Ce que j’adore avec Ander­son – je précise que je n’ai pas vu ce dernier film‑, c’est la récur­rence de thèmes qu’Hol­ly­wood aborde quasi­ment à chaque film mais que lui décide d’ame­ner à un autre degré de compréhension.

    Par exemple, ses person­nages visent souvent la perfec­tion (comme dans 300, dans Avengers etc etc) et systé­ma­ti­que­ment, une blessure incapa­ci­tante vient modifier leur compor­te­ment. Ca, c’est tout Holly­wood et pourtant, chez Ander­son, ça sonne ”neuf” et ”frais”. De même, cigarette et alcool sont des drogues comme le haschisch ou la cocaïne : utili­ser l’un semble toujours tacite­ment excuser l’emploi de l’autre. J’aime bien cette dimen­sion qu’on retrouve fréquem­ment dans la litté­ra­ture améri­caine mais peu dans leur cinéma.

    Sinon, tu évoquais avec ce film une trame plus linéaire et des gags moins sybillins qu’au­pa­ra­vant, mais avec Mr Fox et Daarje­ling (..), le récit se faisait assez simple­ment et sans gags vraiment inexpli­cable. Moorise Kingdom renouait ensuite avec une dimen­sion plus intel­lec­tuelle mais je crois qu’An­der­son aime beaucoup ces aller-retours.

    • Ah, c’est intéres­sant comme analyse – je n’avais jamais capté cette théma­tique holly­woo­dienne. En même temps, je ne sais pas si je suis d’accord : les person­nages chez Ander­son me paraissent plus à la recherche d’ordre et d’une famille que de perfection.

      Quand je parlais de films plus intel­lec­tuels je pensais vraiment aux tous premiers – avant La vie aquatique.

      • En fait, ils sont parfaits. Regarde, dans Mr Fox, le plongeon qu’ef­fec­tue Chris­tof­fer­son ou dans Tenne­bown (désolé, j’ai la flemme de recher­cher l’ortho­graphe réelle des noms…) avec le tennis­man. dans chaque film d’Ander­son, un génie fait parfai­te­ment quelque chose.

        Alors oui, la famille manque en même temps qu’elle impacte et rend inapte (là encore, la figure tutélaire du grand aventu­rier – Mr Fox, Tenen­baum, Darjee­ling- qui est plus brimante et incapa­ci­tante que libératrice.

        Holly­wood parle toujours de ça, sauf que la perfec­tion n’est jamais vécu comme un échec mais consti­tue un but avoué. Ander­son détourne cette théma­tique pour en faire un frein et une barrière d’épa­nouis­se­ment social.

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