Trois hommes dans un bateau (Jerome K. Jerome – GF Flammarion)

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Tiens, pour une fois, je vais citer la quatrième de couverture.

”L’argot des employés de bureau”.
”Cet auteur de dixième ordre nous inonde depuis dix ans de ses produits de dixième ordre.” Mark Beerbohm.

”Humour pauvre, limité et décidé­ment vulgaire.”
”Combien ce livre apparaî­tra démodé avant même la fin du siècle.” Satur­day Review

”Un exemple des tristes consé­quences à attendre de l’excès d’édu­ca­tion parmi les classes inférieures”. Morning Post

Brusque­ment, un matin, il fallait que je relise Trois hommes dans un bateau de Jerome K. Jerome. C’est un bouquin que j’ai décou­vert dans ma jeunesse – il était marqué en quatrième de couver­ture que c’était drôle et, malgré toutes mes préven­tions sur ce qui faisait rire les adultes, je l’ai emprun­té à la biblio­thèque. Il m’avait beaucoup plu même si de nombreuses choses m’étaient passé par-dessus la tête, jeune âge oblige.

Jerome a l’idée d’écrire le livre après avoir lui-même fait le trajet avec deux bons amis à lui. Le concept initial, c’est de racon­ter l’His­toire de l’Angle­terre le long de la Tamise en insérant quelques saynètes humoris­tiques. Étran­ge­ment, alors que les parties histo­riques peinent à sortir, les mésaven­tures des trois jeunes hommes qui décident de remon­ter pour les vacances le fleuve en canot ne posent aucun problème d’écri­ture. D’ailleurs l’édi­teur du Home Chimes où le texte est prépu­blié en épisodes n’hésite pas à couper les paragraphes ”sérieux” du texte.
Le livre est un succès phéno­mé­nal et on estime qu’un million d’exem­plaires pirates est vendu aux États-Unis (les éditeurs états-uniens ne se préoc­cu­paient pas trop de droit d’auteur à l’époque, comme tout pays en voie de dévelop­pe­ment rapide il semble­rait). La critique anglaise le reçoit froide­ment : l’humour est jugé vulgaire et la désin­vol­ture avec laquelle Jerome traite les person­na­li­tés histo­riques est mal vu.

Le livre lui-même est une suite de péripé­ties où l’humour porte sur les objets, rebelles par nature, la mauvaise foi des gens en général, et des autres en parti­cu­lier, et la folie douce des person­nages évoqués. Le tout est évidem­ment accen­tué par la double location du récit : sur un fleuve où les embar­ca­tions et les gens ne peuvent pas s’évi­ter et dans le canot où il faut accep­ter ses compagnons.
L’intro­duc­tion d’André Topia donne une bonne idée des rapports sociaux et de classe qui parcourent en filigrane le livre même si de nombreux gags sont de l’ordre du visuel ou de l’évé­ne­ment inatten­du. Si le livre a très bien vieilli, c’est proba­ble­ment parce que Jerome refuse de prendre quoi que ce soit au sérieux et ses person­nages, qui ont une haute opinion d’eux-mêmes comme la plupart des jeunes gens, se retrouvent dans des situa­tions embar­ras­santes où leur vraie nature – large­ment criti­quée par leur entou­rage – se révèle peu glorieuse. Encore pire, Jerome n’a aucune pitié pour la gent canine et le chien Montmo­ren­cy est décrit comme une boule de vice qui vous dégoû­te­rai d’adop­ter quelque animal que ce soit. Cette modes­tie ironique – l’aven­ture se termine avec un retour à Londre en train telle­ment facile qu’il relati­vise toutes les galères rencon­trées – fait son charme et mérite qu’on le découvre si ce n’est pas encore fait. Et en plus c’est un livre où les femmes ont un rôle fort réduit quand ce n’est pas ridicule. Ce genre de litté­ra­ture se fait par trop rare de nos jours…

À remar­quer que Georges, Harris et le narra­teur ont aussi fait un voyage en Allemagne qui eut un tel succès là-bas que le livre traduit en allemand a même servi de manuel de lecture. Mais, évidem­ment, un livre anglais disant du bien des Boches, à l’époque là, n’avait aucune chance d’être publié en France.

En bonus, deux couver­tures dessi­nées signa­lées par l’excellent Hobopok.

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14 commentaires

    • Merci – même si la couver­ture de Piem me paraît donner une idée fausse des relations entre les person­nages. Je vais les rajou­ter dans le billet si tu le veux bien pour que le monde entier en profite.

  1. Mille corne­muses ! Les citations en 4 de couv sont présen­tées comme vraies, ou c’est un des gags du bouquin, un de ceux que j’aurais pu oublier depuis le temps ? Entre ma prime jeunesse et le midi de mon âge je l’ai lu pas mal de fois (dans au moins deux traduc­tions très diffé­rentes) et chaque fois, ça a été une expérience très doulou­reuse, respon­sable de terribles crampes au niveau du diaphragme : ça tient sûrement en partie à ce que, comme Li-An, à chaque lecture je décou­vrais, ou plutôt je compre­nais, des gags qui m’avaient échap­pé à la lecture précé­dente (les effets de l’âge ne sont donc pas tous négatifs). Je me demande si je ne vais pas le relire dans cette édition accom­pa­gnée de consi­dé­ra­tions sur les rapports de classe (sûrement une des choses que je n’ai pas encore bien captées).

    • Les citations sont exactes et ont été publiées lors de la publi­ca­tion du livre. Je n’ai pas mis la dernière, faite par l’édi­teur suite au succès : ”Je me demande ce que deviennent tous les exemplaires que je publie. Je crois que le public doit les manger”.

      Et en effet, un des rares effets bénéfiques de l’âge, c’est la compré­hen­sion de la nature humaine et suffi­sam­ment de mauvaises passes vécues pour rire de celle des autres.

  2. J’ai aussi lu le bouquin sur le voyage en Allemagne. ça part très bien, dans un esprit très proche de ”trois hommes dans un bateau”, avec cet humour sur le quoti­dien, les objets, les enfants etc. mais tourne un peu trop au récit touris­tique sur la fin (un regard plus ou moins amusé sur les lieux et les coutumes mais sans la fantai­sie et l’atten­tion aux person­nages qui précède). Néanmoins je le conseille (parce qu’il y a peu de livres qui font vraiment rire) si on le trouve en occase…

    • En effet, c’est Trois hommes sur un vélo. Je me rends compte que beaucoup de textes de Jerome sont dispo­nibles en français mais je ne les avais jamais croisé auparavant.

  3. Si tu nous fais les classiques on est pas sortis :D M’enfin celui-là est indémo­dable. J’ai égale­ment quelques réserves quant à Trois Hommes sur un Vélo, il y a des bons passages mais une dénon­cia­tion du pugilat chez les étudiants allemands (avec force détails sanglants) tranche vivement avec le ton badin et tombe comme un cheveu dans la soupe.

    • Les étudiants allemands sont bien connus pour leur violence physique. Il paraît qu’un jeune officier prussien se devait d’avoir des balafres avant même de rentrer dans l’armée. Diffi­cile de faire léger avec ça.

      Et je ne fais pas les classiques : je parle de ce que je lis :-)

  4. Pile dans le sujet, duquel je n’étais alors pas familier ; tu seras sans doute moins surpris que moi. Mais ce passage est inter­mi­nable, dépour­vu de toute forme d’humour, j’avais l’impres­sion de lire un autre bouquin.

    • Je me demande si du coup cette info ne vient pas de ce bouquin. Je pense que ça l’a suffi­sam­ment marqué pour qu’il veuille en parler.

      À remar­quer que les livres qu’il a réali­sé autour de l’Alle­magne l’ont conduit à protes­ter contre la propa­gande qui décri­vait les horreurs perpé­trées par les armées du même pays lors de la Première Guerre Mondiale – il faut savoir qu’il y a eu beaucoup de bêtises écrites là-dessus (les Allemands auraient coupé les mains des enfants) mélan­gées avec des choses assez dures et vraies. Évidem­ment il s’est pris en retour de bâton mais s’est ensuite porté volon­taire malgré son âge. Il a été refusé.

  5. Merci pour ces préci­sions ; j’ai lu un autre de ses livres (était-ce Journal d’un Touriste ?) qui parlait de l’Alle­magne de la même façon, et je comprends mieux à présent son degré d’impli­ca­tion. Si la mémoire ne me fait pas défaut (j’ai lu tout ça il y a 7 ans), son analyse allait assez loin ; il poussait jusqu’à affir­mer que cette violence était une compo­sante innée de la nature allemande. Si la première moitié du XXème siècle tendait à aller dans son sens, je ne peux pas adhérer à ce genre de déterminisme.

    Sans aucune transi­tion, je me suis toujours deman­dé pourquoi Dodier et Makyo avaient bapti­sé leur person­nage d’après cet auteur. Avant de combler mes lacunes litté­raires, cet impro­bable prénom compo­sé me laissait perplexe…

    • Le déter­mi­nisme était une compo­sante fonda­men­tale de la culture de l’époque. Avec le dévelop­pe­ment des trans­ports inter­na­tio­naux, tout le monde cherchait à déter­mi­ner ce qui faisait la diffé­rence entre les nations. Ça a conduit au Troisième Reich et ses dérives.

      Il doit bien y avoir une inter­view où Dodier et Makyo s’expliquent mais je suppose que c’était juste un clin d’oeil.

  6. Bonjour.

    A propos du message d’Arnaud, Jerome K. Jerome décrit en détail, et sans exagé­ra­tion aucune, une coutume bien réelle, et sanglante, des étudiants allemands : la ”mensur”.

    Il s’agit d’une forme duel en vigueur parmi les corpo­ra­tions d’étu­diants, les ”Landsmann­schaf­ten”, lointaines inspi­ra­trices des ”Frater­ni­ties” améri­caines. Ces socié­tés, qui datent du XVIe siècle, avaient repris certaines pratiques aristo­cra­tiques : le port du chapeau, de l’épée et, donc, le duel.

    Celui-ci évolue vers 1850 en une forme parti­cu­lière de duel, rituel et non desti­né à régler une querelle.

    Il se prati­quait avec un sabre spécial, aigui­sé à la pointe, le ”Mensur­schlä­ger” ou ”schla­ger” (d’où la schlague en argot français), le corps proté­gé par un plastron en cuir, le cou par une grosse écharpe. De gosses lunettes grilla­gées proté­geaient les yeux. Seul le visage était exposé. Il s’agis­sait d’y porter des coups afin d’y laisser des balafres. Les cicatrices de celles-ci non seule­ment augmen­tait la beauté virile de l’étu­diant mais attes­taient de son courage. On retrouve ici les scari­fi­ca­tions en usage chez certains peuples d’Afrique.

    La ”mensur” est (théori­que­ment) inter­dite en 1883. De nouveau autori­sée en 1933. A nouveau inter­dite en 1937 en même temps que sont suppri­mées les corpo­ra­tions, que les Nazis voient d’un mauvais oeil. A nouveau inter­dite en 1945 par les Améri­cains. A nouveau autori­sée en 1953.

    Elle est aujourd’­hui toujours prati­quée, légale­ment. Dans des formes plus ou moins atténuées. On estime que sur 33 associa­tions de ”Burschen­schaf­ten”, 10 ont aboli la Mensur, 64 conti­nuent de la consi­dé­rer comme obliga­toire, 59 comme facultative.

    Cette pratique a été aussi décrite par Mark Twain dans ”A tramp abroad”.

    On peut aussi lire l’excellent ”Royal Flash” de George MacDo­nald Fraser.

    Bien cordia­le­ment.

    Emmanuel.

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