Yaxin t.1 Le faune Gabriel (Dimitri Vey & Man Arenas – Métamorphose)

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Le lundi, c’est ronchonnis.
Man Arenas, je vous en parlais en 2008 ici (mais le projet remonte à 2005 si j’en crois le blog) et je levais haut mon chapeau devant un graphisme simple sans être simpliste qui donnait à rêver. L’album était annon­cé chez Soleil, il n’y avait plus qu’à attendre. Sauf qu’au fil des jours – des ans ? – je commen­çais à me poser des questions sur le conte­nu dusdit album. Ces belles images médita­tives pleine de fleurs et d’herbes sauvages allaient réelle­ment donner une histoire ?

Vous avez dû remar­quer que les fées sont partout dans les rayons de vos libraires depuis quelques années. Mais comment ça marche, une fée ? Au départ, ce sont des créatures issues des contes et légendes qui vivent dans les forêts profondes qui recou­vraient l’Europe. Elles font partie de tout un bestiaire pré-chrétien où on retrouve les créatures mytho­lo­giques (tels les faunes, prépa­rez vous à la suite).
Peuple sauvage vivant en marge des socié­tés humaines elles-mêmes clair­se­mées, ses membres peuvent se montrer cruels, maléfiques ou compa­tis­sants. Ils sont dans tous les cas impos­sibles à comprendre et dange­reux du fait de leurs pouvoirs magiques. Elles reviennent très fort à la mode à la fin du XIX° siècle. L’indus­tria­li­sa­tion a éloigné les citadins (bourgeois) des campagnes, les dangers de la forêt ne sont plus que de lointains souve­nirs et face aux machines crachant fumées et étincelles, les artistes rêve d’un monde naturel préser­vé. Tout un bestiaire imagi­naire envahit les livres, poèmes, peintures et pièces musicales (et même Gauguin dans son genre…). Mais, si elles peuvent encore se révéler dange­reuses, ce sont désor­mais des créatures pour la plupart enchan­te­resses, symbole de symbiose avec une Nature très apaisée il est vrai et qui n’a plus rien à voir avec la profon­deur des forêts de l’Anti­qui­té. Comme pour les fantômes et autres esprits, on subodore leur existence et certaines demoi­selles vont jusqu’à les photo­gra­phier. Le marxisme et le début de la consom­ma­tion de masse vont les repous­ser dans les biblio­thèques poussié­reuses un temps, mais les voitures pour tous, le téléphone omnipré­sent et le confort moderne voit la naissance d’une contre culture qui rêve à nouveau d’elfes et des dragons. Et ce n’est pas l’ordi­na­teur, le téléphone 4G et Apple qui font freiner ce besoin de croyance en une Nature magique et confor­table. Tolkien devient une référence cultu­relle de masse et les albums BD grouillent de créatures à la peau verte.

Que reste-t-il des créatures effrayantes à la séduc­tion vénéneuses origi­nales ? Plus grand chose si on en croit cet album qui narre les vagabon­dages d’un petit faune mignon comme une peluche qui se pose de vagues questions existen­tielles et converse avec Merlin, chauve barbu qui porte l’écharpe avec l’élé­gance de Benet­ton (référence pour les vieux comme moi). C’est surtout cette vision gentillette des créatures imagi­naires qui m’agace ici. Rien que le nom du faune : Gabriel, un prénom telle­ment conno­té biblique que c’en est risible [1]. Même Disney dans Fanta­sia a essayé de préser­ver le côté sauvage et primi­tif des faunes et fées. Ici, c’est la gentillesse qui domine, une gentillesse mièvre pour enfants sages où les fées soigneu­se­ment reloo­kées ne montrent même pas leurs seins.
Reste un projet qui sort de la norme édito­riale : de belles images qui font rêver et un texte contem­pla­tif. On nous bassine avec le roman graphique, est-ce qu’il faut parler ici de poésie graphique ? Si ça se trouve, nous sommes face à un objet innovant qui va marquer l’His­toire de la BD. Si ça se trouve … (et cela fait deux fois que je ronchonne après un album de la collec­tion Métamor­phoses. Ça commence à bien faire).

j'ai oublié ma planche

[1] m à j du 27/​11/​10 : Man Arenas a eu la grande élégance de faire un commen­taire mesuré et désolé que vous pouvez lire ci-dessous. Autant dire que je me paie la honte avec mes vannes ironiques à deux balles. Quoiqu’il en soit, il explique le choix de ce prénom pour son person­nage et je n’ai plus qu’à me cacher au plus profond d’une grotte, à marmon­ner ”mon précieux, mon beau précieux”.

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18 commentaires

  1. Je ne l’ai pas encore acquis.

    Tu ronchonnes moins, me semble-t-il, quand c’est Wendling qui les dessine, les fées, et qu’elles sont épinglées comme de pauvres papillons dans des ”art-books” qui ne tentent même pas de racon­ter, eux, la moindre histoire.

  2. Éh oui. J’en suis tout à fait conscient : l’absence de texte permets une inter­pré­ta­tion plus large. Au moins, les fées ne s’appellent pas ”Thérèse” ou ”Maria”. Et elles montrent leurs nichons, nom de Dieu !

  3. Quel texte ! je suis bluffé par ton résumé de l’his­toire des fées !

    Quand à ce livre , un certain Olivier S. m’en a dit le plus grand bien ‚et au vue de cette planche c’est du costaud point de vue image , même du très costaud …le genre de graphisme qui me donne l’impres­sion de faire des graphi­tis néandertaliens ^^

  4. Merci pour ton avis Li-An, j’ai sincè­re­ment beaucoup appré­cié ton opinion diffé­rente, moins ”politi­cal correct” que certaines autres de par le net.
    Pour les noms et tout cela, je ne vois pas comment commen­ter le sujet, cela vaudrait bien une après-midi en terrasse autour d’un bon verre. Yaxin est a la base voulu comme un monde naturel, en perpé­tuelle évolu­tion, force­ment sans scéna­rios, puisque sans fin et donc à la consis­tance et la cohérence d’un rêve… En tant qu’ar­tiste je travaille sur plusieurs thèmes depuis de années, le thème de la simpli­ci­té est l’un d’eux… la seule raison d’ori­gine du petit faune Gabriel est ma façon de pater­nel de dire des choses de tout les jours à son enfant un peu diffèrent et qui s’appelle Gabriel…ce n’est pas mièvre, ce sont les soucis d’un enfant de 5 ans, simples et absolu­ment complexes à la fois… juste que à cet âge-lá tout est solem­nel tout simplement.
    Pour le reste, Désolé que tu n’aimes pas mes fées, j’ai bien compris qu’elles ne sont pas assez stéréo­ty­pées à ton goût ;-)
    Je conti­nue­rais a te décevoir dans le futur vu que je n’arrive pas á chasser mon naturel quand je dessine… cela me rend triste, un peu, car moi je suis, toujours, chapeau bas devant ce que tu fais.

    En espérant se rencon­trer un jour.

    a+
    et conti­nue comme ça ^-^

    Manu

    • Et voilà, j’ai l’air d’un couillon… Je savais que ça me pendait au nez. Certaines nuits, je me réveille en sueur en me disant : ”Qu’est-ce que je vais dire à Barba­ra Canepa si je la croise un jour ? Et si Man Arenas veut me mettre son poing dans le nez ?”. Je fais peu de critiques négatives (pas que j’aime tout – je préfère éviter les polémiques vaines sur la Toile) mais je n’ai pas pu m’en empêcher ici. Je suis heureux de cette réponse qui me permet de préci­ser des choses qui ne sont peut-être pas évidentes à la lecture de mon billet. Si j’ai décidé de faire ce billet, c’est que j’ai suivi ton blog (on se tutoie) depuis quelques années et que j’atten­dais avec une forte curio­si­té cet album. Il m’a déçu pour les raisons que j’évoque mais ça ne doit pas signi­fier que ton travail n’a aucune valeur artis­tique ou humaine. C’est juste que je n’y trouve pas mon compte (faut dire que je suis assez bizarre, ma maman le dit toujours) mais visible­ment, de nombreux lecteurs voyagent grâce à toi. C’est déjà beaucoup et mon avis n’a finale­ment que peu d’inté­rêt. J’évite moi-même de lire les commen­taires sur mes albums parce qu’une mauvaise critique, ça peut gâcher une heure de sa vie et ça n’en vaut pas le coup. Je me le suis permis cette fois-ci parce que je savais que mon compor­te­ment de Schtroumpf grognon ne serait qu’une goutte de vinaigre dans un océan d’amour et d’enthou­siasme :-) Je souhaite une belle vie à ton album (et au petit Gabriel) et je serai ravi de parta­ger un verre avec toi si l’occa­sion s’en présente. Encore désolé d’avoir gâché une heure de ta vie (enfin, j’espère que ce n’est qu’une heure, je connais des auteurs qui, 20 ans après une mauvaise critique, se rappellent encore du nom du fanzine qui les ont épinglé) (pour avoir encore un peu plus honte, je me suis donné comme règle fonda­men­tale de ne jamais dire du mal d’un premier album. C’est dire si je me fais l’effet d’une crevette molle sur le bord d’un évier sale…).

  5. Et le poing sur le nez de Titouan Lamazou,alors…?
    C’est beau(et bon)cette ”bonne intel­li­gence” de réflexions et d’opinions.

  6. PS Man Arenas,c’est bien Manu,Emmanuel que je suivais-Attentif,hein-dans Spirou vers 1993 – 1994(Pour les débuts)?Et celui du Deuxième ZOO ?

  7. @Li-An :

    ”Encore désolé d’avoir gâché une heure de ta vie” – Tu blague ou quoi ? tu m’as plongé dans le plus noir déses­poir, oui !

    wouaieeee… jeje… je rigole Li-An, t’inquiètes pas, je te l’ai dis, j’ai vraiment appré­cié ton billet (c’était sans ironie de ma part). ton billet nourrit la réflexion au moins.

    Tu dis quelque chose d’impor­tant : ta décep­tion avec l’album…c’est la première chose que j’ai dit a Barba­ra à l’époque : ”ceux qui connaissent Yaxin vont être force­ment déçu… c’était inévi­table”. Parce que Yaxin est au départ un blog, parceque basé sur le visuel plus que sur le texte, c’était voulu, un peu comme un album photo de famille, un peu ”K.Dick” ou ”Borges” comme démarche (2 de mes auteurs favoris)… les visiteurs ”trouvent” un album d’une famille incon­nue et donc force­ment – a la vision des photos et a la lecture de phrase sibyl­lines – chacun se met a imagi­ner ses propres histoires .… comment faire un premier livre ? (sachant que je n’ai pas 300 pages pour être tranquille).
    Donc, ceux qui connaissent déjà Yaxin vont être déçu ou rester sur leur faim, et pour les nouveaux lecteurs qui ne connaissent pas Yaxin, le risque de qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils ont dans les mains. ^-^ (c’est une des raisons de la colla­bo­ra­tion de Vey sur l’album, au départ Dim est le scéna­riste pour le film et finale­ment son apport a la bédé fut de la rendre moins radicale , plus accessible)

    … après, est-ce une vrai bédé ou pas?, moi je rentres pas dans ce débat. mon opinion arrêté a ce sujet est : bédé, comic, manga… graphic novel ou quoi encore pour moi c’est la même chose. à chacun de faire son propre ”art séquen­tiel” comme disait le vieux Eisner… depuis toujours,j’adore ce média a cause de sa varié­té, de sa liber­té d’expres­sion et d’expérimentation encore intacte.…c’est pourquoi je fais de la bédé en essayant de perpé­tuer un style ou esprit narra­tive que j’aime dans ”Nemo” de McCay, dans l’ ”Arzach”, ”Les yeux du chat” ou ”40 jours dans le désert B” de Moebius, Le ”Zeke raconte des histoires” de Cosey ou encore ”L’homme qui marche” de Tanigu­chi… pour n’en cité que peu et pas que des psychédéliques.
    Yaxin c’est mon ”garage hermé­tique” a moi en quelque sorte.
    un plaisir purement person­nel après plus de 20 ans de travail pour le cinema (avec une produc­tion de dessins qui n’as rien a envier à un bon mangaka). ^-^

    Désolé si je parle ”trop long”, j’aime la conver­sa­tion avec les camarades, surtout parceque je vis loin de tout le petit monde de l’édition, en vrai ermite dans deux pays oú l’on ne parle pas le français. C’est pour ça que j’attends avec impatience mes seances de dédicaces a Paris entre le 3 et le 10 decembre prochains…

    a+

    Manu

  8. @Li-An :
    ce que je voulais dire par lá , ce n’est pas l’illus­tra­tion ou la copie des histoires de K. Dick ou Borges, non,
    je voulais parler d’une certaine manière assumé qu’il ont toujours de te racon­ter une histoire.
    de mélan­ger consciem­ment des faits réels, des reflexions person­nelles avec des choses inven­tées ou fausses et des person­nages réels ou fictifs appar­te­nant a d’autres auteurs ou mythologies.

  9. Tes avis ”négatifs” sont non seule­ment coura­geux mais bien plus construc­tifs* que bien tous les articles/​chroniques/​billets à pensée unique, copiés/​collés des dossiers de presse, que l’on voit ailleurs.
    C’est pour cela qu’on aime ton blogue et qu’on se préci­pite pour lire les albums… que tu n’as pas aimé !
    Conti­nue comme ça.

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