L’art de Jean-Claude Forest (Philippe Lefèvre-Vakana – éd. de l’An 2)

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Paru en 2004, cette monogra­phie comblait un trou assez béant… L’œuvre graphique de Jean-Claude Forest est immense et on ne peut pas dire qu’elle soit facile à trouver.
J’ai déjà parlé ici de mes problèmes avec les histoires de Forest. Je suis admira­tif devant son trait, sa créati­vi­té et son origi­na­li­té visuelle, mais je suis incapable de finir ses histoires. Ses dialogues fleuves, le côté très poético/​littéraire de l’ensemble s’asso­cient dans mon incons­cient à quelque chose de vieillot, de vieux messieurs qui se font plaisir avec les mots pour éviter de s’embarquer dans des aventures plus violentes. C’est sûrement très injuste mais je n’y peux pas grand chose. Un grand auteur à l’uni­vers très person­nel court le risque de laisser à la porte de nombreux lecteurs et j’en fais partie (mais je ne déses­père pas. Un jour j’aurai sûrement assez de culture pour l’appré­cier à sa juste valeur).

une floppée de couv

Philippe Lefèvre-Vakana fait ici un très beau travail. Il présente des repro­duc­tions d’ori­gi­naux de l’ensemble de la carrière de Forest de manière splen­dide et permet aux ignorants comme moi de mieux appré­cier l’apport de Forest à la BD. Mais ses regrets posent aussi problème. Forest fait partie d’une généra­tion pré-Pilote et le magazine Chouchou qu’il codirige donne une idée de sa bande : Gillon, Poïvet, Gigi, Gloes­ner, Novi et Pichard. Des auteurs dont j’admire la technique mais dont l’approche de la BD me laisse un peu froid. Des jeunes femmes bâties sur le même modèle, un héritage classique qui passe complè­te­ment à côté de l’ins­pi­ra­tion Pilote/​Spirou. Pour moi, c’est là que le bât blesse : ces auteurs ne rentrent pas dans la moder­ni­té appor­tée dans les années 70 par des gens comme Franquin ou Giraud dans le travail sur le visage, les person­nages et les dialogues. Le cas Giraud/​Moebius est intéres­sant puisqu’il travaille en grande partie sur le même genre d’influences que cette généra­tion (un côté surréa­liste dans les dialogues et les situa­tions) mais une violence plus marquée, un graphisme plus ”sale” qui le fait passer dans une autre ère. Au moment où Lefèvre-Vakana publie ce livre, il se plaint de l’absence des albums de Forest dans les librai­ries (avec raison) et reproche au lecteur de BD moyen d’être le grand respon­sable de l’oubli où est tombé Forest. Ça me parait profon­dé­ment injuste : Forest connait le succès en 1962 grâce à Barba­rel­la. Cinq ans plus tard, le film sort et achève de faire de Forest un person­nage incon­tour­nable de la scène non seule­ment BD mais aussi média­tique. Ses histoires sont publiées dans France-Soir, il travaille pour la télévi­sion (jusqu’à tourner un téléfilm), il s’essaie au roman, bref il est une espèce de Joan Sfar de l’époque (en moins proli­fique) à une époque où les auteurs BD média­ti­sés sont très rares. Il est parfai­te­ment dans l’air du temps : ses femmes libres, son goût pour le vêtement, son érotisme classieux et souriant en font un artiste qui ouvre des voies et témoigne de la période. Ce statut va à mon avis finir par peser sur sa carrière. Il ne sera jamais complè­te­ment intégré à l’équipe de Pilote (Lefèvre-Vakana a visible­ment une dent contre Goscin­ny qu’il rend respon­sable de manière ambigüe de l’arrêt de la colla­bo­ra­tion de Forest avec le magazine et il va jusqu’à consi­dé­rer comme ”produit de consom­ma­tion qui fait honte à la BD” Astérix mis dans le même sac que Largo Winch (sic)) et de la même manière, se conten­te­ra de papillon­ner dans les diffé­rentes revues qui explosent à l’époque. Les albums qu’il publie dans À Suivre vont le consa­crer comme grand auteur incon­tour­nable et sceller aussi son statut de créateur d’œuvre complexe pas faite pour le grand public.

recherches persos

Arrêtons de ronchon­ner. Le livre est indis­pen­sable et fait juste regret­ter de ne pas voir d’autres choses de Forest : ses couver­tures pour Le Livre de Poche par exemple ou les illus­tra­tions de son roman érotique (inache­vé – il y a beaucoup de choses inache­vées chez Forest). Et mainte­nant que les albums sont petit à petit de nouveau dispo­nibles, on peut déplo­rer que cette monogra­phie ne le soit plus !

plus belle image du siècle ?

Lost

cadeau bonus signé Totoche : plusieurs couver­tures du Livre de Poche à admirer sur PlanBD – http://​planbd​.blogspot​.com/​2​0​0​9​/​0​4​/​f​o​r​e​s​t​-​i​n​-​p​o​c​k​e​t​.​h​tml

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22 commentaires

  1. Billet passion­né et trés argumenté…JC Forest n’aimait pas R.Goscinny;il ne fut pas le seul,non par atavisme(oui,je suis savant)mais par la posture,la position dans laquelle le brillant scéna­riste-rédac-chef les conditionnait.(Le bouquin sur Delporte,rédacteur en chef déploie les memes-rares-rancoeurs passées).
    Pour ma part,je vois ces Noel Gloesner,Gigi,Poivet,Forest avec une vraie considération;faut il opposer ceux qui sont entré dans la moder­ni­té avec opportunisme(dans le bon sens du mot;sens complé­te­ment disparu,dommage)avec ceux qui n’ont pas vu/​voulu/​perçu cette évolution..?Dans le cinéma,on peut mieux juger l’oeuvre,accablée par la nouvelle vague,des Julien Duvivier,Henri Decoin(…)et en déceler la profondeur,la richesse et l’audace véritable.
    Le bouquin(que je n’avais pas acheté,honte à moi et tous mes descendants)semble faire l’impasse(illustrée)sur les oeuvres du début(strips,feuilletons)et la trés forte activi­té de Forest(qui était trés présent,donc)autour de la BD.Beaucoup de réflexions,de tribunes,entretiens et puis ses activi­tés autour d’Angouleme,ses fonctions chez Bayard…Reste,oui,que Forest semble avoir négli­gé son travail d’auteur complet;las ‚peut etre, d’un métier qu’il n’aura été qu’un malentendu?Comme Paul Cuvelier,ou Gigi ses dernières années sont cruel­le­ment pauvres,parsemées de ”projets”,de ronds de fumée,d’incapacité à trouver une foi en ce métier.
    Blutch lui porte une admira­tion filiale;c’est délà un pont d’établi…

  2. J’avais oublié de parler de Blutch dont je sentais la filia­tion… avec la même gêne dans certain de ses travaux (par exemple Vitesse Moderne que l’on pourrait quali­fier de Fores­tier et qui m’ennuie autant – au moins je reste logique avec moi-même). Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la compa­rai­son BD/​cinéma. J’ai beaucoup de plaisir à regar­der certains films d’avant guerre (pas tous), un plaisir que je ne retrouve pas dans les BD des auteurs cités. Je ne pense pas qu’ils soient juste des auteurs ”d’un autre temps”. Ils travaillent aussi dans une tonali­té et une tradi­tion très parti­cu­lière qui ne me satis­fait pas complè­te­ment (surtout dans le dessin pour Poïvet par exemple).

  3. Contrai­re­ment à ce que tu laisses peut-être sous-entendre, le livre aborde toutes les périodes et les activi­tés de Forest (avec son Club BD qui fait très select).
    Dans le cas de Goscin­ny, Delporte est loin d’être négatif. Mais c’est sûr que des person­na­li­tés fortes au même moment au même endroit avec des pouvoirs et des réseaux déjà consti­tués peuvent diffi­ci­le­ment travailler ensemble.

  4. Pour les amateurs de recherche:Entretien avec Chris­tian Marmonnier(pour RADIO LIBETAIRE)daté de Juin 1996(Plusieurs heures(?))dont deux pages figurent dans le n°46 de BODOI(Nov.2001).
    L’asso­cia­tion a réédi­té son HYPOCRITE(”La seule bande dessi­née que j’ai aimé dessiner,celle peut etre où j’ai eu du style”)et a cares­sé d’autres projets,attendus encore à ce jour…Parfaitement d’accord quant à l’issue de sa ”carrière” où un grand auteur populaire aux promesses évidentes devient un ”grand auteur incontournable,créateur d’oeuvres complexes”.Est-ce que c’était lui..?

  5. Je ne suis pas sur que RADIO LIBERTAIRE existe encore,surtout…Moi aussi le ”VITESSE MODERNE” m’avait ennuyé:Trop de références,trop de citations sous-tendues,trop pensée,trop raison­née cette non-histoi­re‑à la pensée vagabonde où l’on trouve des choses,des scènes extra­or­di­naires et un dessin exceptionnel(”LA VOLUPTE” est davan­tage du Blutch,trés réussi,plus ”sponta­né” si l’on peut dire).
    Poivet et ses disciples n’avaient pas idée de cette liberté,cette nouvelle voie à envisager,mais je persiste à croire que par leur milieu,leur ”éducation”(artistique mais pas que),leur regard déjà trés défini sur ce métier,ces auteurs ont nié et refusé cette approche.Réac..?Ils possè­daient terri­ble­ment leur métier,avaient foi en ses capaci­tés mais ont gardé défini­ti­ve­ment une vision fermée et achevée de la bande dessinée:Pour les enfants.
    Dans un sens,les honneurs,les prix ne devaient pas leur plaire;ce trop plein d’affect,une mode durable mais sachant etre ridicule,polluaient leurs convictions…
    Intéres­sant de voir POIVET s’aven­tu­rer dans des expériences-tard-tandis qu’au soir de sa vie FOREST semble se méfier et se détour­ner de la bd d’auteur comme seul refuge,seul espace recon­nu et plébiscité.Jacques Lob,mort il y a 20 ans,au physique et au parcours proche de Forest connait,plus forte­ment encore,un oubli trés profond et aussi injuste…(Mes sous-enten­dus n’étaient qu’hypothèses,je ne possède pas le livre et en garde un souve­nir déjà vague(ah bravo.))

  6. Dans le cas de Lob, il parait que le Trans­per­ce­neige va être adapté par un fameux metteur en scène coréen.

  7. (j’ai voulu le comman­der samedi, pour l’offrir, et ce bouquin n’est plus dispo chez l’éditeur…
    je vais pas offrir mon exemplaire, si ?)

  8. J’ai rencon­tré Gandalf une fois, et il m’a dit ”La magie ? Mais, mon jeune hobbitt, c’est complè­te­ment dépas­sé. Achetez plutôt des actions de la scierie que Sarou­mane vient de faire construire, c’est ça qui marche, maintenant”.
    Non, pardon, ma mémoire me joue des tours, ce n’était pas Gandalf, c’était Forest, ce n’était pas la fin du troisième Age, mais celle des années 80, ce n’était pas aux Hâvres Gris, c’était à la rédac­tion d’Oka­pi, Forest y exerçait encore, pour peu de temps, la fonction de DA de la ”partie bande dessi­née” (Okapi avait une rédac­tion bicéphale, pour ne pas dire schizo­phrène, avec une direc­tion pour la partie litté­raire et une autre pour la partie BD. Devinez laquelle faisait figure de parent pauvre?). Cette situa­tion n’était sûrement pas pour rien dans son pessi­misme… parce que, oui, ça me revient, ce n’était pas la fin de la magie qu’il annon­çait, l’enchan­teur, c’était celle de la bande dessinée.

  9. Faut dire que fin des années 80, il y a eu une jolie crise dans la BD. Après, ça dépend quelle BD il voulait faire. L’Asso­cia­tion a prouvé qu’il y avait des possi­bi­li­tés mais très éloignées de ce qu’il avait vécu (travail pour des gros éditeurs généra­listes, signa­ture de contrats en présence d’un avocat (!)…).

  10. La compa­rai­son Sfar/​Forest est bien vue – même si on ne sait pas encore ce qui reste­ra du travail de Sfar. A ce petit jeu on pourrais ajouter : Sattouf/​Margerin.

  11. Sattouf est un peu le Marge­rin des années 2000. Il a capté l’air du temps et le tourne en dérision (même si Sattouf est plus cruel). L’un comme l’autre ont trouvé un style de dessin simple et terri­ble­ment efficace qui a un impact humoris­tique immédiat. Leur succès dépasse large­ment le monde de la bande dessi­née (contrai­re­ment à des génies comme Goossens que le grand public ne comprend absolu­ment pas). L’humour de Marge­rin a un peu marqué le pas. Trop tôt pour savoir si Sattouf saura sortir de sa fasci­na­tion pour les ”jeunes” dont on risque de se lasser à la longue (la série sur Canal+ est un affreux contre­sens qu’il n’aurait pas dû autori­ser à mon sens) comme on s’est lassé des aventures de Lucien dans les années 1990.

  12. Je n’arrive pas à les voir en paral­lèle (à part l’humour et le côté ”social”). Il faut dire que je ne connais­sais absolu­ment pas l’uni­vers décrit par Marge­rin qui parait très parisien (et sa périphé­rie) alors que Sattouf me semble plus ”chroni­queur” de la socié­té d’aujourd’­hui et ses person­nages et gags fontionnent plus sur la socié­té que ceux de Marge­rin. Pour ce qui est de son éventuel essouf­fle­ment, seul l’ave­nir pourra nous dire…

  13. Ben c’ est marrant, pour Blutch, je crois que Vitesse Moderne est mon prefe­ré . Et pourtant, j’ ai pas vraiment chercher à comprendre des signi­fi­ca­tions ou autre .

    Sinon euh je vais passer pour un coquin, mais quelqu’ un sait si on peut trouver des bouts de ce roman erotique inache­vé de Forest sur le net ?

    ps : je viens de décou­vrir le blog, c’ est fabuleux, j’ en ai pour une plombe à tout fouiller :D

    • Ah, ça pour trouver du Lady Gaga c’est pas ça qui manque, mais du Forrest
      Une heure seule­ment ? Pfff, je pensais qu’il y avait plus à lire :-)
      Pour Blutch : chacun ses goûts :-) Il faut bien qu’il y ait des gens qui aiment.

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