Bifrost n°62

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Grave­ment atteint par l’arrêt des critiques de livres sur Cafard Cosmique, j’ai fini par me décider à acheter un numéro de Bifrost (la revue des mondes imagi­naires), conseillé par un de mes libraires. Je ne sais même plus pourquoi je ne l’avais jamais testée aupara­vant ? Peut-être un commen­taire acide d’un camarade à l’époque de sa création… Bon, bref, voilà une revue fêtant ses 15 ans d’âge, ce qui est fort honorable. Au menu, seule­ment deux textes : Mike Resnick retra­vaille son concept de monde africain utopique (sur la base des Massaïs) et Thomas Day doit faire grincer bien des dents avec une défense du viol en tant qu’ob­jet de promo­tion de la femme afghane.
Je crois que je ne suis défini­ti­ve­ment pas fan de Resnick. Présen­tée comme un novel­la, Kilimand­ja­ro est en fait une suite de mini textes repre­nant le concept déjà abordé dans Kirinya­ga où l’on voyait une commu­nau­té Kikuyu tenter de recréer leur socié­té tradi­tion­nelle sur un satel­lite terra­for­mé. J’avais bien aimé les deux nouvelles tirées du cycle lues dans une autre revue, assez cruelles et inter­ro­geant de manière inven­tive le concept d’uto­pie (pas éloigné de certaines utopies écolo). Dans Kilimand­ja­ro, le concept est prolon­gé : est-ce qu’il est possible de créer une utopie moderne en préser­vant socié­té tradi­tion­nelle et socié­té moderne ? Au final, ça ressemble plus à une gentille réflexion sur l’évo­lu­tion des socité­tés qu’à autre chose et j’ai juste souri devant les mésaven­tures des respon­sables politiques de la petite commu­nau­té obligé de s’ouvrir à la démocra­tie au nom de l’utopie.
Avec Nous sommes les violeurs, Thomas Day imagine un rapport d’un tribu­nal inter­na­tio­nal inter­ro­geant les restes d’un comman­do de merce­naires occiden­taux engagé dans la lutte contre la culture du pavot en Afgha­nis­tan dans un futur proche. Une lutte ultra violente décidée par une prési­dente afghane qui ordonne l’assas­si­nat de tous les planteurs, fait désher­ber les cultures avec un produit Monsan­to – qui inter­dit toute autre exploi­ta­tion hors semences de la même marque – et qui a pour consé­quence indirecte le viol des femmes/​filles des culti­va­teurs par les merce­naires menés par un chef illumi­né qui est persua­dé d’agir au nom de l’ave­nir desdites femmes (ces viols en masse étant le seul moyen de faire recon­naître leur impor­tance dans une socié­té terri­ble­ment patriar­cale). C’est provo­ca­teur, pas manichéen (les femmes apparaissent à tous les postes, même en tant que bourreau) ça fait (un peu) penser à Apoca­lypse Now, ça brasse énormé­ment de théma­tiques d’actua­li­té (la femme dans la socié­té, la drogue dans la socié­té, la guerre, etc… etc…) mais ça m’a paru plus un bon texte de départ de débat public plutôt qu’une bonne nouvelle SF.
Et c’est tout. Ben oui, c’est la crise dans les revues SF comme dans l’édi­tion du même nom alors pas beaucoup d’argent pour traduire les auteurs anglo-saxons et dévelop­pe­ment du coup d’une généra­tion d’auteurs français qui flirte avec le fantas­tique et la fanta­sy. Enfin, ça ce sont mes déduc­tions après avoir parcou­ru ce qui fait le gros de la revue : la partie critique. Elle a le grand mérite d’être exhaus­tive et de donner une bonne idée de ce qui est sorti dans le genre. J’ignore si leurs goûts rejoignent le mien, seul la pratique nous le dira.
Le grand dossier du numéro, c’est une longue inter­view de Jacques Goimard qui reprend toute sa vie et son travail édito­rial (et même son oeuvre). Jacques Goimard, je l’ai beaucoup lu quand il était chroni­queur dans Métal Hurlant mais j’igno­rais tout de lui. Études litté­raires classiques, ensei­gnant à Henri IV puis à l’Uni­ver­si­té, il a eu Dionnet comme élève (ce qui explique cela). Il est surtout tombé dans la marmite SF dans les années 50, à l’époque où elle intéres­sait une petite intel­li­gent­sia très parisienne. Il a beaucoup écrit sur la SF mais surtout, il a créé la collec­tion Press Pocket SF. Éh oui, toutes ces couver­tures insup­por­tables de Siudmak, on les doit à Goimard qui les trouve géniales. Et après, il s’est étonné qu’un de ses auteurs se soit fâché avec lui après avoir vu la couver­ture qu’il lui réser­vait. Quoiqu’il en soit, une inter­view très intéres­sante pour moi, sans langue de bois, qui m’a permis de décou­vrir une partie de l’His­toire de la SF en France et ses clans (et oui, comme partout). Le parcours de Goimard permet aussi de comprendre l’énorme diffé­rence entre l’approche de la SF française moderne sur celles des États Unis, la première décou­vrant un peu tout dans le désordre après la Seconde Guerre Mondiale et appro­chant le genre d’un point de vue litté­raire très français accen­tué par la décou­verte de Philip K. Dick. Goimard conclut en ayant l’impres­sion qu’il n’a jamais vraiment fait partie du milieu SF français, ce qui laisse à méditer…
Verdict final ? Un numéro honnête qui ne m’a pas non plus embal­lé à l’emballage graphique plutôt moyen (de petits dessins en peu partout, très gentils, des illus­tra­tions de nouvelles pas vraiment surpre­nantes). Je vais conti­nuer à l’ache­ter pour l’actua­li­té mais j’ignore si ça me satis­fe­ra réelle­ment sur le long terme.

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16 commentaires

  1. Ah, ça, vu que tu collec­tionnes les trucs pas possibles, Siudmak c’est un peu la crème de la crème du pas possible. À cause de lui, j’ache­tais ces bouquins un peu consterné.

  2. Marrant l’his­toire sur Siudmak, je ne savais pas. Je trouvais ces couver­tures très bizarres à l’époque –surtout en les compa­rant avec la concur­rence. Faudra que je fasse un post la-dessus.

  3. Je me souviens que je me posais égale­ment des questions en voyant les couver­tures. Je pense que c’est à cause d’elles que j’ache­tais peu de bouquins de cette collec­tion. Mais bon, avec le recul, le rejet à fait place à la fasci­na­tion ! Je me demande toujours ce qui se passe dans une tête pour accou­cher de telles images.

  4. Je ne crois pas au contraire qu’on peut balayer tout ça aussi facile­ment. Pour être clair, je n’ai pas d’atti­rance parti­cu­lière pour le travail de Siudmak, au contraire, en fait, mais son monde m’inté­resse. Je suis intri­gué. Je me demande quel chemin on emprunte pour aller chercher ce genre d’image. Peut-être que c’est juste un guignol, que c’est vide. Mais peut-être aussi que tout cela est sincère, qu’il ouvre une porte quelque part et qu’il nous invite ? En tout cas, à part aux ventes de la collec­tion, il ne fait de mal à personne ;)

  5. Il faut regar­der du côté de Dali, pas de problème. Pour moi, ça lorgne plus vers la peinture que vers la couver­ture de livres SF. Tu as raison, il n’y a pas mort d’homme (comme dirait Jack Lang) mais qu’il ait réali­sé l’ensemble des couver­turs d’une collec­tion impor­tante de SF pendant aussi longtemps m’a toujours paru injuste pour la repré­sen­ta­tion SF en France. Mais comme je l’ai dit, l’approche litté­raire du genre a donné des collec­tions au design très sobre (après tout, la collec­tion la plus presti­gieuse présente des couver­tures métal­liques ”unies”).

  6. Ah, je donne ma langue au chat mais ça ne me dit rien (une recherche Google devrait aider vu que la commu­nau­té SF aime bien répertorier).

  7. Tu as raison, d’autant que mon ”intérêt” pour ces couves est plutôt postume. À l’époque, il y avait les Titres SF, du coup, je savais quoi choisir. Mais en y repen­sant, je ne suis pas sûr que Siudmak aient fait toutes les couver­tures. J’ai de vagues souve­nirs de couver­tures d’Ebe­ro­ni. Mais c’est très vague…

  8. Bizarre phéno­mène que les couver­tures de Siudmak. Beaucoup donnent l’impres­sion d’avoir été achetées par lots et ensuite attri­buées à des bouquins au petit bonheur, peut-être à pile ou face, et puis parfois, inopi­né­ment, il y en a qui font mouche et collent au bouquin d’une façon inatten­due (comme celles de Podkayne fille de Mars ou de Une porte sur l’été. Il se sentait peut-être des affini­tés parti­cu­lières avec Robert Heinlein?)

  9. Siudmak pour illus­trer Heinlein ? Ça je ne peux pas accep­ter ! ;) En fait, je me souviens de ces livres en J’AI LU mais pas en PRESS POCKET.

  10. En tous les cas, il y a bien des Heinlein en Pocket. Et en effet, on cherche souvent le rapport avec le livre (enfin, si on a le courage de contem­pler ces peintures).

  11. Si si Jerry, Siudmak a bien illus­tré Heinlein chez J’ai Lu. 

    Voir là :
    http://​www​.librys​.fr/​r​o​b​e​r​t​-​a​-​h​e​i​n​l​e​i​n​/​p​o​d​k​a​y​n​e​-​f​i​l​l​e​-​d​e​-​m​ars

    http://​www​.librys​.fr/​r​o​b​e​r​t​-​a​-​h​e​i​n​l​e​i​n​/​u​n​e​-​p​o​r​t​e​-​s​u​r​-​l​-​e​t​e​-​6​083

    Et bien enten­du, tous les Heinlein chez Pocket étaient eux-aussi illus­trés par le même Siudmak : 

    http://www.librys.fr/robert-a-heinlein/l‑homme-qui-vendit-la-lune

    http://​www​.librys​.fr/​r​o​b​e​r​t​-​a​-​h​e​i​n​l​e​i​n​/​r​o​u​t​e​-​d​e​-​l​a​-​g​l​o​ire

    @+
    DominiK

  12. Merci pour ces préci­sions, DominiK. Pas facile à retrou­ver puisque c’était quand même sa période ”pré Dali”. Pas mal, d’ailleurs.

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